LE TIR A LA CORDE

Publié le 20 février 2020

La règle du jeu est très simple : deux équipes, généralement composées de costauds tirent sur une corde et s’efforcent de faire venir à soi l’autre équipe, sous les encouragements enthousiastes des spectateurs. Et puis, il y a une revanche, parfois la belle, toujours avec le même entrain, par les jours de beau temps lors de la fête du village ou du comice agricole.

On s’amusait à peu de frais, et le jeu politique de l’époque de cette deuxième moitié du 20ième siècle ressemblait furieusement au jeu du tir à la corde : d’un côté la gauche, de l’autre la droite, chacune fortement ancrée sur ses talons pour faire passer le fameux mouchoir blanc du milieu vers son camp. Les spectateurs y allaient gaiment de leurs commentaires et encouragements, et les victoires successives de la gauche et de la droite étaient dans la nature des choses, sans que la rancœur de la défaite s’installe durablement.

Et puis le jeu de l’alternance est brutalement tombé en désuétude, pour faire place à un jeu nouveau dont personne ne connait les règles. La corde qui permettait de mesurer sa force et qui opposait, mais aussi  reliait  les adversaires, a été mise au rancart.

On ne joue plus, et on n’a même plus   l’occasion de rigoler. Alors, désemparés, les gens du peuple se demandent pourquoi on leur a supprimé la corde. Ils ont l’impression d’être subitement ringardisés, tant on leur a répété que le tir à la corde n’était qu’une  vieille coutume désuète.

Alors, ils se tournent vers ceux qui jouent à de subtils jeux de pouvoir, et qui semblent avoir confisqué la corde. Et ils ne sont pas contents.

L’opposition entre les camps s’est transformée, non plus entre gauche et droite sur le même plan, mais entre ceux d’en bas et ceux d’en haut ;  l’usine a fermé ses portes, le médecin est parti en retraite sans trouver de remplaçant, le bureau de poste a disparu, le boucher a baissé son rideau, et on vous explique que c’est le progrès.

Le ressentiment d’abandon de ceux d’en bas est profond. Ils savent qu’il ne suffit pas de traverser la rue pour trouver du boulot, et deviennent très amers lorsque celui qui leur a subtilisé la corde insulte leur misère.

Il n’y a plus de lien, le peuple est coupé de ses élites et celles-ci regardent le tableau sans vraiment comprendre. C’est le progrès.

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