SALE TEMPS EN AFGHANISTAN
Publié le 23 septembre 2021
Le temps en Afghanistan n’est pas au beau. Les Américains viennent de le quitter après 20 ans de présence, celle-ci étant la conséquence des attentats du 11 septembre 2001 conduits par Oussama Ben Laden. Pour les Américains, retrouver l’auteur de cet acte horrible devenait une priorité absolue. Ils interviennent, retrouvent Ben Laden et le suppriment le 2 mai 2011. Cette quête permet de chasser les talibans qui étaient au pouvoir depuis 1996 mais ceux-ci ne cessent de mener une guérilla contre les forces américaines (et alliées de l’OTAN dont les 4 000 Français jusqu’en 2014). Après les accords de Doha (29 février 2020), les américains commencent à quitter le pays, pour le faire définitivement en septembre 2021, après que les talibans aient complètement reconquis le pays (sauf peut être le Pandjchir) à partir de mai 2021, soit environ 4 mois, y réinstaurant immédiatement la Charia.
Que penser de cette reconquête apparemment si facile ? De l’utilité réelle des interventions étrangères dans ce pays et d’une façon plus générale dans les pays dirigés par des tyrans ou des régimes extrémistes ? De la réplication de notre système démocratique dans des pays qui ne l’ont jamais connu ? Que faire à l’avenir ?
– La reconquête facile : Il est certain que ce ne sont pas 20 ans de présence occidentale qui allaient changer les traditions et le modus vivendi local existant depuis des siècles. Ce pays était organisé en tribus, clans, dirigés par des chefs de guerre qui pouvaient déjà se battre entre eux. Sur le plan religieux, le pays qui était en grande majorité musulmane sunnite modérée, assez sensible aux idées laïques turques kémalistes. Mais la guerre contre l’URSS de 1979 à 1989 change les choses, devant la victoire des moudjahidines qui, après une guerre civile entre eux, passent sous la coupe du mouvement Taliban, sunnites fondamentalistes. Pour les habitants de ce pays, même modérés, les occidentaux sont des mécréants car non musulmans, la plupart sont blancs, imposent une forme de gouvernement central auquel ils ne sont pas habitués, se voient imposer des règles économiques comme l’interdiction de cultiver le pavot qui était une de leurs principales sources de revenus. Autrement dit, le mouvement taliban, en achetant ou menaçant les chefs locaux, en réinstaurant la religion pure et dure de l’islam par la conviction ou la menace, en favorisant les traditions locales surtout dans les campagnes, y compris le comportement coutumier vis-à-vis des femmes, ont eu beau jeu de s’attirer la faveur des populations et de se retrouver comme « des poissons dans l’eau ».
Un autre facteur a certainement joué en faveur de la reconquête talibane: la corruption des soi-disant « élites » du pays.
De plus, l’Afghanistan n’est pas que Kaboul où pouvaient vivre une population plus « progressiste » que dans les montagnes qui constituent l’essentiel du pays.
Il ne faudrait certainement pas non plus oublier le rôle essentiel du Pakistan, pays voisin, dont les medersas ont joué un rôle capital dans la formation religieuse fondamentaliste des Talibans.
– L’utilité des présences étrangères dans le pays, qu’elles soient russe ou ensuite américaine et ses alliées, au constat d’aujourd’hui, est quasiment nulle. Les Russes n’ont rien apporté à ce pays sinon ruine et désolation. Leur tentative d’apporter les « bienfaits » du communisme a échoué. Les Américains ont simplement eu la satisfaction de s’être vengés en tuant Ben Laden. Ils ont pu apporter pendant 20 ans une image très floue de ce qu’est la civilisation occidentale mais ont quand même pu redonner vigueur à l’enseignement et aux soins médicaux, à l’accès à la culture ainsi qu’un espoir de liberté à la population féminine. Mais celle-ci vient de retomber sous la dictature de la Charia. Par contre la lutte contre la corruption a été un échec. Tout cela a coûté des milliers de vie (3 613 soldats de la coalition otanienne dont 2 465 américains, 90 Français tués et 700 blessés) et des millions de dollars (2261 millions de dollars pour les USA dont 88 pour la formation de la pseudo armée afghane de 300 000 combattants qui n’ont opposé aucune résistance aux talibans).
Que de choses auraient pu être réalisées avec tout cet argent !
A mettre au crédit de notre propre armée : développement technologique (ex : les drones) et entraînement en combat réel.
– Que penser du transfert du modèle politique démocratique de type occidental dans ces pays à connotation politique dictatoriale, théocratique, ou extrémiste ?
Nous pensons que c’est un leurre, une chimère.
L’Histoire nous montre que dans notre actualité récente toutes ces tentatives ont été des échecs sur le moyen et plus long terme. Dans l’immédiat, ce peut être un succès. Démolir un dictatoriat (Kadhafi, Saddam Hussein par ex.) peut apparaître comme une bonne chose, mais après ? Que deviennent maintenant des pays comme la Lybie, l’Irak, l’Afghanistan ? Le printemps arabe a échoué presque partout.
Que deviendront les pays de la région subsaharienne et leurs voisins quand fatalement l’armée française partira ?
Il faut bien constater que le système politique démocratique de pays comme le nôtre n’est pas exportable comme nous pourrions le penser car le système de vertus qui l’ont fait naître n’est certes pas le même dans tous les pays du monde. Vouloir l’imposer, surtout par la force armée, est une erreur.
Mais alors est-il cependant possible de le transposer ? Nous pensons que oui, quand le choix a été fait par une population majoritaire (ce qui n’est pas forcément facile à savoir). Nous pouvons alors l’aider, et, en priorité par une aide diplomatique, mais aussi par envoi de matériel de défense, médical, d’enseignement et culture. L’envoi de troupes ne devrait toujours se faire qu’en dernier recours mais sans hésitation pour exfiltrer de nos compatriotes qui seraient en danger.
Autrement dit, si les Talibans ne plaisent plus aux Afghans, à eux de se révolter contre eux et alors nous pourrions les aider, mais certainement pas dans les conditions où cela a été fait jusqu’ici. Cependant il y avait l’émotion provoquée par les évènements du 11 septembre 2001 et on peut comprendre l’attitude américaine.
Nous avons maintenant aussi à nous interroger sur notre présence en Afrique dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, dans des pays où là aussi règnent la corruption et la prébende. Un jour ou l’autre notre force Barkhane pliera bagage, laissant le champ libre aux exactions des terroristes de ces régions alors que notre présence est déjà critiquée négativement sur le terrain.
Il faudra bien évidemment trouver d’autres solutions pour lutter contre l’exportation du terrorisme chez nous et nos pays amis. Nous pensons que la théorie misant sur le fait d’aller à l’étranger détruire militairement les lieux de formation de terroristes alors que les populations locales les supportent ou les entretiennent est arrivée à ses limites. Il y a urgence à penser à d’autres solutions.
Nous pensons aussi que la politique extérieure américaine devra changer pour éviter de pareilles défaites, même si ce terme ne convient pas tout à fait, car les USA n’ont pas essuyé de défaite militaire au sens des guerres classiques, car ici, en Afghanistan, c’est le relais avec les forces locales qui n’a pas fonctionné ainsi que la mise en place d’un gouvernement démocratique bien admis dans la société afghane.
Ceci est important, car dans les relations internationales, il y a de la concurrence comme la Chine ou la Russie. La Chine, par exemple, étend ses relations internationales dans la lignée des règles de l’OCS (voir un article antérieur du CRI : www.criternet.fr), à savoir avoir des relations diplomatiques et commerciales sans intervenir dans la politique intérieure des pays tiers, ce qui permet d’éviter pas mal de soucis relationnels avec ces pays et de garder une image de marque propre même si les pays partenaires sont des états dits « voyous » où la démocratie n’existe pas.
Mais ne jouons pas les malins ! il suffit de considérer notre propre histoire pour s’apercevoir que la conquête de la démocratie ne s’est pas faite d’un coup de baguette magique ! Arès la révolution de 1789 et la proclamation des Droits de l’Homme, nous sommes bien repassés par deux empires (Napoléon 1er, Napoléon III) et trois royautés (Louis XVIII, Charles X, Louis-Philippe) pour revenir à la République !! Et même l’actuelle est déjà bien menacée par des mouvements plus ou moins anarchisants ou extrémistes de droite comme de gauche ou plus prosaïquement par l’abstention électorale.
Le combat pour la démocratie est également bien chez nous. Elle est la victime de l’individualisme qui fait que le citoyen ne raisonne plus qu’en se mettant prioritaire avant la société et non plus réfléchir à ce qui pourrait être bon pour la société dans son ensemble qui pourrait secondairement être bon pour lui. De même, la conscience de ce que sont l’état et la nation s’est affaiblie.
Sale temps pour l’Afghanistan, sale temps pour la démocratie…