LE TRAVAIL EST IL ENCORE UNE VALEUR?

Publié le 17 janvier 2023

« Le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin »

VOLTAIRE  (1694-1778) dans « Candide »

« Le travail, c’est une punition…Le travail, c’est l’esclavage, et les gens qui sont intéressés à dire le contraire sont précisément ceux qui, ne faisant rien, gagnent leur paix à la sueur du front des autres »

Georges de La Fouchardière (1874-1946) dans « Le Pour et le Contre »

Ces deux citations aux antipodes l’une de l’autre démontrent que la valeur « travail » peut être considérée de façon bien différente selon les conceptions sociales, politiques ou individuelles du moment. Notre époque n’échappe pas à cette dualité de conception. Se pose alors la question de ce que représentera la valeur « Travail » au sens éthique dans le futur !

UN PEU D’HISTOIRE

Pour l’instant la valeur « travail » est encore incontestablement reconnue comme un élément extrêmement structurant pour toutes les sociétés. Cela était déjà vrai pour celles de l’antiquité grecque et romaines où les travaux lourds étaient menés par les esclaves, les prisonniers de guerre et les travaux ménagers par les femmes. Le citoyen romain se réservait les plus hautes fonctions administratives, du commerce ou de profession hautement qualifiées (construction navale, architecture par exemple). Mais déjà le côté pénible du travail est contenu dans l’origine même du mot « travail » qui, au XII ème siècle,  viendrait du latin « tripalium », un instrument de torture à trois branches. « Travailler » serait une déverbalisation de « tripaliarer », c’est-à-dire torturer avec le tripalium.

Mais la valeur « Travail » a été énormément inscrite dans la mentalité des êtres humains par les religions monothéistes (chrétienne, judaïque, islamique).  Rappelons ici la Genèse (III, 19) et le péché originel: « Vous mangerez votre pain à la sueur de votre visage jusqu’à votre retour dans la terre d’où vous venez, car vous êtes poussière et vous retournerez poussière ». En islam, pas de péché originel, Dieu ayant pardonné à Adam, mais la valeur travail est aussi fortement mise en exergue en particulier dans les hadiths.

Au Moyen Age, la terre appartient aux princes qui la répartissent à leurs compagnons d’arme. La féodalité et l’église régissent la structure de la société :

–        Il y a ceux qui travaillent : les serfs, les vilains et tout ce qui est nécessaire à la vie sociale

–        Il y a ceux qui prient pour ceux qui travaillent et ceux qui les protègent

–        Il y a ceux qui protègent les deux précédents (nobles et princes)

Pour les religieux, La règle de St Benoît sanctifie le travail dans l’équilibre des « heures monastiques » entre travail et prière.

Par la suite les villes s’affranchissent petit à petit des règles féodales et s’organisent autour des « heures » décidées par les marchands et artisans et en corporations avec leurs règlements particuliers.

La noblesse ne travaille pas en France (contrairement à la noblesse anglaise qui peut travailler la terre, ce qui a pu permettre un développement agricole puis industriel plus rapide). La révocation de l’Edit de Nantes a fait fuir beaucoup de protestants très impliqués dans la vie artisanale et industrielle.

Le Premier et le Second Empire valorisèrent le travail en favorisant l’industrie, le commerce et la ruralité en impliquant fortement la bourgeoisie. Pour celle-ci, le travail donnait sens à leur existence, ce qui impliquait des efforts et des sacrifices, ce qui n’était pas ressenti comme une ‘torture ».  A côté des excès de certains, une partie de la bourgeoisie prônera le développement industriel mesuré, ce qu’on appellera aussi « paternalisme ».

La religion n’était pas loin derrière : il existe dans l’église de Lépanges (n’oubliez pas que le CRI est d’origine vosgienne) une statue de la Vierge « Notre Dame de l’Usine et du Travail » classée Monument Historique.

Finalement, tout au long de son histoire la France a vu cette valeur travail comme associant du pouvoir religieux, politique (qui propose des lois le plus souvent empreintes de religion) et économique via certaines classes sociales comme la bourgeoisie.

En ce qui concerne le monde politique, on peut schématiquement le classer en deux camps qui s’opposent : la Gauche traditionnelle qui considère le travail comme pénible (ce qui perpétue paradoxalement  parlant le regard aristocratique qui considère le travail comme pénible donc à réserver à d’autres) et la Droite traditionnelle pour laquelle le travail  est une valeur morale républicaine de haute valeur !

En ce qui concerne la durée du travail, c’est le Front Populaire qui institue la semaine de 40 heures en 1936 alors qu’auparavant n’existait aucune limite. Mais il y eut des échappements avec la facilitation des heures supplémentaires et surtout la guerre (semaine de 60 heures sous le gouvernement de Vichy).

LE TRAVAIL DANS LA FRANCE D’AUJOURDHUI :

Une situation paradoxale : nous avons officiellement 3.164.200 chômeurs en France et 373.100 offres d’emploi non satisfaites ! Cela pénalise le fonctionnement des entreprises et contraint celles-ci à recruter, quand elles les trouvent, une main d’œuvre étrangère (favorisant ainsi les problèmes d’émigration, un des prochains sujets d’étude du CRI). Tout le système de protection sociale du pays est sollicité au maximum : 33,3 % du PIB alors que la moyenne européenne est à 29,9%.

Nous sommes aussi un pays où l’emploi des seniors est mal géré et où l’apprentissage n’a pas encore repris ses lettres de noblesse malgré la loi de libéralisation de l’apprentissage de 2018 et un bon spectaculaire (+ 40%) en 2020.

LES FACTEURS RESPONSABLES POUR LE CRI

De multiples facteurs sont à l’origine de cette désacralisation de la valeur « travail »

–        Politiques : depuis mai 1968 et ses bouleversements sociologiques  comme le refus de la hiérarchisation, sont arrivées la retraite à 60 ans (1982), les lois sur les 35 heures (2000), les préretraites massives. En 1981 fut même créé un « ministère du temps libre » avec pour ministre André Henry, instituteur vosgien.

De l’activité de ce ministère disparu en 1983 restent les « chèques vacances ».  A cette époque on arrivait même à expliquer que quelqu’un qui faisait des heures supplémentaires volait le travail d’un autre.

Les décisions politiques plus récentes comme les indemnisations du « non travail » ne permettent plus pour beaucoup de faire une nette différence entre chômer et travailler avec tous ses inconvénients (horaires à respecter, transports, hiérarchie à supporter, intérêt du travail) pour une différentielle de rémunération peu importante.

Certains courants politiques écologiques sont contre la croissance pourtant très liée à l’emploi. Il en est même qui militent pour la décroissance.   

–        Philosophiques : des ouvrages comme « L’Eloge de la Paresse » de Jacques Leclerc ou  « Eloge de la  Paresse » d’Eugène Marsan, « le Droit à la paresse » de Paul Lafargue, « Eloge de la Sainte paresse » d’Erik Sablé, « Eloge de l’Oisiveté » de Bertrand  Russel remettent en cause cette notion de valeur « travail ».

–        La baisse de la religiosité : l’injonction divine nous condamnant à travailler, conséquence du péché originel évoquée en tête de l’article, n’a plus l’influence qu’elle pouvait avoir sur nos manières de vivre compte tenu du déclin religieux dans notre pays..

–        Sociologique : de tout temps le travail était considéré comme une valeur sociale importante car elle permettait à l’individu d’assurer son statut social, de lui donner son indépendance et sa liberté en ne dépendant plus des autres-  ne serait-ce que de sa propre famille- et assurer la subsistance de la sienne propre. L’individualisme actuel vient s’opposer à cette règle sociale jusqu’ici intangible.

Par ailleurs, dans notre modèle social, la rémunération du travail n’est pas toujours à la hauteur de l’activité fournie :

. On ne peut souvent plus avoir une vie décente même en travaillant beaucoup (notion de précariat)

. Pour beaucoup de personnes les rémunérations gagnées ne correspondent pas à leur rôle réel utile dans la société (Ex : celles du monde agricole).

. La différence minime entre rémunération du travail et aide sociale sans rien faire peut favoriser cette deuxième option.

. La promotion permanente de l’hédonisme participe à la dégradation de la valeur travail.

. On assiste au découragement des personnes à haut revenu légitime (temps de travail, pénibilité ou encore responsabilité extrêmement importante, utilité sociale ou économique devant les attaques dues à la jalousie pilotées la plupart du temps par des clans politiques

–        Educatifs: qu’elle soit parentale ou institutionnelle, l’éducation ne remplit plus son rôle. La valeur « travail », comme bien d’autres, n’y est plus inculquée comme autrefois.

–        La nature même du travail risque également de modifier l’image de cette valeur dans le futur. L’arrivée en masse des robots et de l’intelligence artificielle mobilisera des travailleurs de très haut niveau de qualification, laissant sur la touche les personnes de faible niveau que le système de protection sociale devra alors prendre en charge.

La fameuse « flemme » des Français (qui seraient les plus flemmards d’Europe) évoquée dans des articles de presse récents et attribuée aux conséquences du confinement et du télétravail va-t-elle devenir à ce point contagieuse au point de paralyser progressivement notre pays ? Il faut espérer que non.

La valeur « travail », même si elle prend des formes différentes, doit reprendre sa place et rester une motivation majeure pour le bien de notre société mais sans redevenir par des biais divers un nouvel esclavage comme cela a pu être le cas à certaines époques de notre histoire et être dommageable pour notre planète.

Le CRI, depuis sa création a toujours eu comme fil directeur de sa pensée et de ses écrits le respect des valeurs de la République : Liberté, Egalité, Fraternité.

Il est temps que les décisions concernant le temps de travail, les rémunérations ainsi que la retraite soient prises dans ce cadre.

La liberté ne peut être conservée sans travail sinon l’Homme la perd au profit de la dépendance à d’autres.

L’Egalité signifie que chacun soir rémunéré de son travail en fonction de ce qu’il apporte à la société, aussi bien homme que femme

La Fraternité signifie que l’aide sociale aux démunis et aux blessés de la vie soit préservée mais aussi que le démuni ne fraude pas ses frères et qu’il fasse les efforts nécessaires pour les rejoindre par son propre travail.

Pour réussir la réinsertion de la valeur travail dans notre société, une seule règle : « Au travail » tous !

 

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