L’EDIT DE CARACALLA OU LES ETATS UNIS D’OCCIDENT 0ctobre 2004
Publié le 13 mai 2013
Régis Debray nous rapporte dans un ouvrage peu connu la thèse d’un de ses anciens amis, de sa promotion de l’Ecole Normale Supérieure, devenu haut fonctionnaire puis citoyen américain, mort en mission en Afghanistan en novembre 2001.
Le titre de l’ouvrage fait référence à un décret pris en l’an 212 par l’empereur Bassianus Caracalla qui donna à tous les sujets de l’empire la citoyenneté romaine, assurant par là une cohésion politique qui lui permit de résister encore deux siècles à l’avancée des barbares.
De façon analogue, Xavier de C*** plaide en faveur d’une citoyenneté occidentale regroupant l’Europe et les Etats-Unis dans une fédération des Etats-unis d’Occident, qui possède une unité culturelle forte, pour faire face aux défis du monde à venir.
Xavier de C*** établit un parallèle historique entre la société romaine et notre monde moderne, observant que l’empire romain fut bâti autour de la méditerranée, et que notre monde occidental existe aujourd’hui de part et d’autre de l’océan atlantique. Cet océan constitue plus une barrière psychologique que physique entre l’Europe et les Etats-Unis, car il faut moins de temps pour se rendre de Paris à New-York que de New-York à San-Francisco avec les moyens modernes de déplacement. La comparaison sur ce point avec l’époque romaine de la marine à voile et à la rame est sans appel.
L’argumentation se développe autour de quelques point forts:
1- Les Etats-Unis sont peuplés pour l’essentiel de descendants émigrés d’Europe. Ce sont nos cousins avec lesquels nous partageons le même héritage religieux et culturel et les différences de point de vue entre européens et américains ne sont pas plus grandes qu’entre européens eux-mêmes.
2- La superpuissance américaine n’est pas surfaite, mais les tâches sont surdimensionnées pour les forces réelles. La puissance « dure » des B 52 sera de plus en plus contournée par le bas, par le cutter ou l’anthrax, et la puissance « douce » de persuasion sera contournée par le haut, comme l’a montré l’initiative d’Al Djezira. Les problèmes de la planète échapperont de plus en plus au « contrôle » américain. L’Amérique est détestée parce qu’elle fascine, et tous les états se déclarent opposés au terrorisme, mais demain les coalitions pourraient se renverser: Confucius+Allah, cela fait 70% des réserves de pétrole et deux âmes sur quatre. Quel serait alors l’équilibre du monde? 3- Il existe un réel différentiel des pressions démographiques entre les barbares à sept enfants et les civilisés à enfant unique. En 1900, l’Occident représentait un tiers de la population mondiale et en dominait la moitié grâce au colonialisme et à l’illettrisme des indigènes; en 2025, ce sera un dixième et la maîtrise des hautes technologies va nous échapper. Les nouveaux venus aux USA et en Europe ont des taux de fécondité élevés: on prévoit environ 50% d’hispaniques, noirs et asiatiques en 2050 aux USA . L’arrivée dans la fédération de deux ou trois cent millions d’européens héritiers des Pilgrim Fathers serait de nature à stabiliser une identité perturbée, tout en constituant un microcosme réellement représentatif de la mosaïque humaine, essentiel pour le dialogue des cultures.
4- L’économie est aussi un volet important, car en mixant nos traditions, trop de public en Europe, et trop de privé aux Etats-Unis, il sera possible de tailler une voie médiane optimale, en corrigeant l’un par l’autre nos présomptions et nos pesanteurs. A quoi nous servent aujourd’hui ces absurdes guéguerres commerciales – du type surtaxe du foie gras contre boycott du bœuf aux hormones-?
5- La culture en Europe est un front de guerre quotidien, ce qui n’est pas le premier souci aux USA. La globalisation ne pourrait plus s’appeler américanisation, si on pouvait écrire l’équation: le hamburger + le chateaubriand, le soap opéra + Visconti, le Coca + Château-Petrus, Disneyland + Oxford, le rock + Boulez. Cette addition quantité + qualité permettrait de l’emporter simultanément sur deux fronts: le droit au bonheur et l’élévation de l’esprit.
6- Sur le plan de l’organisation politique, il ne serait pas mauvais que l’esprit des experts en réglementation européens puisse venir tempérer l’influence des lobbies en cours à Washington, en rééquilibrant au profit de l’exécutif le surpoids des groupes d’intérêts. Les alliances militaires, aujourd’hui difficiles à mettre en œuvre, parce que les alliés des USA interviennent en supportant le poids financier de leur contribution militaire sans contrepartie politique, puisqu’ils exécutent sans participer aux décisions, trouveraient un cadre de relations apaisées.
7- Enfin, il est évident que le président de la fédération des Etats-Unis d’Occident serait élu par l’ensemble des états de cette fédération, ce qui peut paraître sacrilège aux yeux des tenants de « l’Amérique aux Américains » tout autant qu’aux nationalistes d’Europe. Mais en compensation de l’acceptation de cette citoyenneté nouvelle, l’élargissement géographique et le doublement démographique redoubleront la gloire de leur pays et sa puissance protectrice, comme jadis la romanité. Certes, le nouveau président pourrait ne pas être anglo-saxon, mais l’histoire de Rome nous rappelle que l’empereur Trajan, qui repoussa le limes jusqu’au golfe persique était un étranger, Espagnol de naissance, et que Septime-Sévère était Tunisien.