DIEUDONNE ET LA PROVOCATION
Publié le 20 mars 2014
Dans la vie courante, la meilleure attitude à avoir face à un provocateur est de ne pas entrer dans son jeu, ne pas répondre à une provocation par une autre, de rester calme et de laisser retomber l’adrénaline du moment.
Dieudonné, étiqueté humoriste, est un provocateur, comme la plupart des humoristes d’ailleurs, dont le champ de la provocation est l’antisystème, le racisme et l’antisémitisme.
Cela n’a pas toujours été le cas, puisqu’il fut duettiste avec Elie Seimoun pendant plusieurs années (1990 – 1997) avec lequel ses sketches s’attaquaient souvent au côté négatif de la religion, du racisme, de la misère.
Depuis plusieurs années maintenant, les spectacles de Dieudonné M’BALA M’BALA, en particulier dans celui du « MUR » au Théâtre de la Main d’Or, font appel à des thèmes racistes et antisémites.
Il remet d’actualité ce geste de la « quenelle » (bras tendu vers le bas et main controlatérale posée sur le bras ou l’épaule). Il est considéré par lui comme un geste antisystème, nouvelle manière du bras d’honneur, repris par d’autres comme un geste antisémite, voire néonazi parce que inversé par rapport au salut nazi.
Cette dernière version est à notre avis contestable, car si des opposants à Hitler s’étaient permis de faire une « quenelle » lors d’un rassemblement nazi, ils se seraient certainement retrouvés bien vite en camp de déportation.
Ce geste peut lui aussi être considéré comme une provocation, surtout quand il est pratiqué devant un édifice à vocation symbolique d’un pouvoir (religieux ou laïc)
Devant cette provocation, les bonnes décisions ont-elles été prises ?
– Dans l’immédiat : mesure coercitive par interdiction de spectacles. Autrement dit, devant la provocation d’un individu, les pouvoirs publics répondent par une autre provocation, celle d’interdire des représentations , ce qui excitera à son tour des démocrates à tout crin qui hurleront à l’atteinte à la liberté de pensée et artistique alors qu’il n’est pas prouvé qu’il y a trouble à l’ordre public. Souvenons nous que des tribunaux ont déjà donné raison à D. La bataille, sur le plan juridique semble être gagnée par la récente décision du Conseil d’Etat qui a interdit une représentation du Mur, mais pas l’activité de Dieudonné dans le cadre d’autres sketches.
– Dans le futur, rien de prévu, sauf à modifier de façon claire la législation pour pouvoir interdire de façon préventive des spectacles (mais qui en jugera ou qui pratiquera la censure ?) qui risqueraient de choquer certains groupes de la société.
Outre l’atteinte à la liberté de pensée, cela reviendrait aussi à faire évoluer dans un vase clos conceptuel tout spectacle humoristique qui ne pourrait plus être incisif, mordant, irrespectueux, irrévérencieux, dérangeant, subversif, bref en lui ôtant toute saveur, même si elle doit être épicée.
Notre société s’est elle comportée comme elle le devrait ?
Devant le développement d’idées racistes, antisémites ou autres non acceptables sur le plan humain et philosophique, il est bien plus facile de s’en prendre à un individu plutôt que de lutter contre toute la nébuleuse de groupes plus ou moins importants qui militent ouvertement par leurs écrits, leurs réseaux et par internet pour ces mêmes idées, souvent exprimées, elles aussi, en public ,gravées sur CD vendus par centaines par nos grandes enseignes.
Là, on ne fait pas grand-chose pour lutter contre l’activité de ces groupes.
On ne fait pas grand-chose non plus pour chercher à comprendre pourquoi un individu comme Dieudonné a du succès. Et c’est la compréhension de ce succès qui permettrait de lutter contre la divulgation d’idées non recevables dans un monde démocratique moderne.
Nous pensons que, pour lutter contre ce phénomène, il faudrait agir au niveau des idées et des comportements :
C’est à la presse et aux critiques de spectacles, aux agents professionnels, aux propriétaires de salles de spectacles, aux médias, qu’il revient de faire le procès des prestations de Dieudonné.
Par ex : un extrait video d’un spectacle de D. passé dans un grand journal télévisé accompagné d’un commentaire adéquat, le montrant en train d’insulter certaines catégories de la société serait plus contributive qu’une simple interdiction de jouer dans telle ou telle ville de France.
C’est aux hommes et femmes publics de faire connaître leur sentiment contre les idéaux racistes et antisémites, révisionnistes, non seulement en l’affirmant mais surtout en l’argumentant ce qui est rarement fait.
C’est à nous, membres de la société civile à ne pas nous monter complice.
Il faut donc éviter de faire de la propagande pour ce type de spectacles, ne pas s’y rendre et déconseiller à quiconque d’y assister.
Mais pour l’instant et pour beaucoup de ses admirateurs, tout ce qui s’est passé risque de faire passer Dieudonné. pour un martyr du système, pour un artiste maudit. L’action publique lui fait de la publicité en agissant comme elle l’a fait (en particulier en « oubliant » pendant longtemps de lui faire payer ses amendes et son insolvabilité organisée).
Notre « humoriste » s’en frottera les mains, surtout si quelques condamnations lui donnent quelque aura supplémentaire.
Au lieu de lui procurer une tribune, notre société aurait dû le pousser à l’oubli.