ECOLOGIE ET POLITIQUE Juin 2005

Publié le 13 mai 2013

DIOXINE :

1994 : Rapport de l’Académie des Sciences :

 » Contrairement à l’opinion généralement répandue, aucun élément ne permet aujourd’hui de considérer que la dioxine et ses analogues constituent un risque majeur pour la santé publique. L’homme est peu sensible à la dioxine, et les doses auxquelles il est soumis sont très faibles »

1997 : La dioxine TCCD est classée cancérigène par le Centre International de recherche contre le cancer (Circ).

2003 : Selon l’Institut de Médecine américaine des sciences, il existe des preuves suffisantes d’une association entre l’exposition aux produits chimiques pulvérisés et le risque de développement de leucémie et tout un cortège de maladies telles que déficits immunologiques, malformations congénitales, fausses couches, atteintes du système nerveux et chloracné.

 

AMIANTE :

 

1970 : Des chercheurs du CNRS alertent les pouvoirs publics sur la dangerosité de l’amiante inhalée provoquant des cancers de la plèvre et des poumons.

Avril 1996 : publication par l’Académie de Médecine d’un rapport minimisant fortement la mortalité humaine due à l’amiante.

 

Novembre 1996 : publication par l’Inserm ( Institut national de la santé et de la recherche médicale) d’un rapport aux conclusions diamétralement opposées, recommandant l’interdiction de la production d’amiante sur le sol français dès janvier 1997.

 

 

OGM :

Décembre 2002 : publication par l’Académie des Sciences du rapport  » Les plantes génétiquement modifiées », concluant à l’absence  » de raison objective de prolonger un moratoire sur les autorisations de commercialisation d’OGM  »

 

NUCLEAIRE :

2001 : Rapport de l’Académie des Sciences intitulé :  » L’énergie nucléaire civile dans le cadre temporel des changements climatiques », concluant : » l’énergie nucléaire contribue aussi peu que les énergies renouvelables à l’effet de serre ».

 

 

POLLUTION ENVIRONNEMENTALE

 

2005 : Mise sous surveillance par l’Inserm de 6 types de cancers ( poumon, hémopathies malignes, cancers du foie, du cerveau et du système nerveux central, du pancréas et des mésothéliomes de la plèvre) particulièrement suspectés d’être en relation avec le rôle de l’environnement, la France présentant le taux de mortalité par cancer le plus élevé d’Europe.

 

Avril 2005: Selon une équipe de chercheurs français, les résultats obtenus sur deux populations de souris soumises au même régime alimentaire, mais dont l’une est soumise à un environnement pollué et l’autre non, montrent un augmentation de poids significative des souris de la population soumises à la pollution.

 

 

 

Ce bref échantillon des informations qui nous parviennent de façon continue ne peut manquer de nous dérouter complètement, au point de se demander qui a raison et si même il existe une vérité à laquelle on peut croire.

 

 

Il croit qu’il sait, il ne sait pas qu’il croit.

 

 

L’avalanche des informations, souvent contradictoires, voire parfois concordantes, mais réfutées ultérieurement par de nouvelles observations, notre propre déficit en connaissances scientifiques, et le besoin que nous avons de nous forger des repères pratiques pour notre vie et le confort de notre esprit, ne nous permettent pas de pouvoir faire un tri pertinent du contenu et de la qualité des informations qui nous arrivent.

 

Il s’agit d’une question d’importance, et nous sentons confusément le tragique d’une situation dans laquelle la maîtrise de la réalité nous échappe, alors que les choix que nous devons faire ont et auront des conséquences de plus en plus dramatiques, sinon mortelles.

Un premier obstacle concerne la somme des informations issues du développement de notre civilisation technologique, dans laquelle la progression des connaissances, dit-on, doublerait tous les dix ans, donnant ainsi une allure exponentielle à la courbe de l’évolution des connaissances. Dans ce schéma, il n’y a pas de limite supérieure et on peut se sentir pris d’un certain vertige, ou de découragement, en regrettant l’époque de Pic de la Mirandole ( Florence, 1463- 1494), considéré à l’époque par l’étendue de ses connaissances comme réunissant les savoirs de son temps.

 

Une information est rarement neutre, et ne peut être dissociée de son auteur. Ainsi est-il toujours nécessaire de savoir qui parle, ou écrit, et au-delà, quels sont les liens de l’auteur avec le ou les groupes scientifiques, sociaux, économiques et politiques qui interviennent dans le débat. Quiconque a un jour assisté à la confrontation de deux avocats traitant du même sujet, mais animés d’intentions opposées comprendra aisément que chacun de nous se comporte toujours, peu ou prou en avocat d’une cause. Le jeu se complique quand les porte-paroles de comités scientifiques, considérés comme tels, remplissent également des fonctions au bénéfice de groupes économiques, en se gardant bien d’attirer l’attention sur ces activités connexes.

 

Le déficit de nos connaissances, voire de nos méthodes d’analyse, est une difficulté supplémentaire pour faire face à la complexité des problèmes rencontrés. Chacun se souvient, en bon Français nourri de l’esprit cartésien, du schéma classique de la cause et de l’effet. Transposé en médecine, selon la tradition pasteurienne, cela donne : un agent-une maladie-un médicament. Le développement des cancers, et de nombreuses autres pathologies semble être lié à des causes multiples, on pourrait dire multi-paramètres, dont chacun n’est pas nécessairement identifié et encore moins mesuré, et l’influence dans le résultat final mal comprise, sans parler de l’effet possible dû à la combinaison de plusieurs paramètres entre eux.

 

Il nous faut renoncer à vivre avec des certitudes scientifiques, ou médicales, pour nous contenter d’informations que nous acceptons pour être les meilleures, si possible dans le contexte du moment, mais révisables. Ainsi dans le domaine médical pour la recherche des causes, pourra-t-on parler de différents niveaux de preuve :

classement par niveau croissant de preuve :

 

– expérience personnelle

– opinion de leaders de la spécialité

– comité d’experts

– étude descriptive

– étude de cas témoins

– étude d’observation : cohortes

– étude randomisée en double aveugle

– revue de plusieurs études randomisées en double aveugle

 

Ce constat est particulièrement amer pour chacun de nous qui a naturellement tendance à considérer que son expérience personnelle est évidemment la meilleure, et si nous devons admettre qu’elle ne peut pas nous être d’un grand secours, car après s’être méfié de ce que nous entendons, faut-il aussi douter de nous-mêmes?

 

Somme toute, dans ce monde surinformé et déconcertant, dans l’impossibilité où nous sommes de vérifier la pertinence des informations, n’avons-nous pas tendance à choisir nos sources d’information, en leur accordant à certaines une confiance plus grande qu’à d’autres, à rechercher des guides, à accepter leurs points de vue et leur donner crédit, ramenant de façon inconsciente une grande partie du champ de la connaissance à un acte de foi: Il croit qu’il sait, il ne sait pas qu’il croit.

 

 

 

Les effets pervers de la chimie

 

Nous sommes tellement entourés de produits issus de la chimie que nous avons cessé de nous en apercevoir, tant le panorama de sa création est vaste: le nombre de substances décrites est de l’ordre de 20 millions, et en 1981, on pouvait en dénombrer plus de 100 000 enregistrées et commercialisées. Parallèlement, la production mondiale est passée de 1 million de tonnes en 1930 à 400 millions de tonnes aujourd’hui.

Le DDT est connu depuis 1938 et a rapidement acquis la réputation d’insecticide miracle et fut utilisé de massivement dans la lutte contre les insectes. D’une façon analogue, les PCB (polychlorobiphényles) , dont la liste comporte plus de 200 composés, auxquels on ne trouva aucun défaut, furent utilisés dès 1929 à grande échelle pour rendre ininflammables les transformateurs à l’intérieur des bâtiments, le bois, les peintures, les vernis et les insecticides.

Depuis, les biologistes ont fait des découvertes étonnantes: Ces produits se retrouvent à peu près partout dans les tissus du vivant, la stabilité de ces molécules leur permettant de voyager ainsi à travers toute la chaîne alimentaire, depuis le phytoplancton jusqu’à l’homme, en passant par le zooplancton, les poissons, les oiseaux, les animaux. Mais cette présence n’est pas sans conséquences: ces molécules constituent des perturbateurs du système hormonal de chacun des hôtes où il se trouve en se substituant à l’œstrogène naturel. Le fonctionnement des hormones normales se trouve perturbé par ces imposteurs, favorisant les anomalies génétiques.

Les cas de stérilité des oiseaux, poissons, crocodiles, tortues, observés dans des sites où on a pu établir de façon formelle une relation avec le déversement ou l’épandage de DDT et/ou PCB sont confirmés par l’observation de modifications

 

fréquentes de l’appareil reproducteur, et la présence de ces molécules dans les tissus de ces animaux.

Alors, qu’en est-il de l’homme?

Depuis l’Antiquité, la fécondité a toujours été associée à la femme, jamais à l’homme. Peut-être les stérilités de l’homme existaient-elles déjà, mais on observe dans les dernières décennies une modification du spermogramme de l’homme, touchant particulièrement l’Europe et les Etats-Unis. Selon les mesures effectuées par le Center of Research into Endocrine Disruption in Europe (CREDO), la diminution mesurée en Europe de la concentration en spermatozoïdes dans le sperme humain est de 40% sur la période 1970-1990. S’ajoute à cette constatation une augmentation du nombre de spermatozoïdes anormaux, expliquant que de nombreux spermes soient devenus stériles.

Certains scientifiques s’interrogent sur la pérennité de la civilisation occidentale, fortement industrialisée et menacée à terme par le danger d’une stérilité généralisée, en l’absence de réactions fermes à cette tendance mortifère.

On peut s’étonner que la gravité de cette situation ne fasse pas l’objet de réactions à la hauteur de la menace, qu’il s’agisse des médias, plutôt enclins à mettre en avant des événements à sensation que d’annoncer de mauvaises nouvelles qui seraient forcément mal accueillies par les lobbies industriels, agricoles ou économiques puissants. Les médecins pour leur part, s’intéressent à une vision curative des maladies, se désintéressant des problèmes d’écologie, abandonnés aux mains de personnalités non scientifiques dont l’autorité est insuffisante pour être prises en considération.

Quant aux autorités politiques, le moins que l’on puisse constater est qu’elles font preuve d’un suivisme constant des lobbies industriels et agricoles, qui poursuivent avant tout la recherche de leurs intérêts.

 

 

Les cancers, maladies de l’environnement?

 

 

La déclaration de lutte contre le cancer du président Chirac a permis à la classe politique de prendre conscience du problème, après une trop longue période de politique de l’autruche.

Juste après la seconde guerre mondiale, environ 70 000 personnes en France mouraient chaque année d’un cancer ; aujourd’hui on compte 150 000 morts par an, soit plus du double en 50 ans. Le nombre de cancers du sein a doublé chez la femme, celui de la prostate a été multiplié par 4 chez l’homme et celui des cancers de l’enfant augmente de 1% par an.

Sur les 150 000 morts par an en France par cancer, 30 000 sont liés au tabac, ce qui pose la question des autres causes pour les 120 000 morts restants. L’augmentation de la durée de la vie n’a que peu d’influence sur ces chiffres, et la vieillesse n’est pas, en soi , un facteur cancérigène.

Les enfants sont de plus en plus touchés, et cela de façon de plus en plus précoce. En particulier, le nombre de lymphomes, de leucémies ou de tumeurs cérébrales aurait augmenté de 30 à 50% en 20 ans aux Etats-Unis. L’hypothèse retenue pour expliquer ce phénomène est l’augmentation de la pollution chimique, les enfants pouvant être plus facilement contaminés par des substances chimiques présentes dans le lait de leur mère, la respiration d’un air plus pollué au ras du sol, l’ingestion de substances chimiques par les objets que les enfants portent à la bouche.

Il semble par contre que les facteurs héréditaires n’interviennent que pour 5% des cas observés, mais il est clair que le nombre élevé de cas de cancer, où toutes les familles ou presque sont touchées, peut donner l’illusion d’un phénomène transmissible.

Selon le professeur Dominique Belpomme, Directeur de l’Association

 

française pour la recherche thérapeutique anticancéreuse, dans son ouvrage  » Ces maladies créées par l’homme », le constat est évident: les maladies d’aujourd’hui ne sont plus les maladies naturelles d’hier. Alors que la médecine actuelle a pu venir à bout de la plupart des maladies infectieuses, rien n’indique qu’elle sera capable de vaincre nos maladies modernes conséquences de notre civilisation.

On a longtemps considéré que le seul danger des substances chimiques est celui de l’empoisonnement, en se fondant sur l’axiome : la dose fait le poison. Ainsi, au-dessous d’un certain seuil, il n’y aurait pas de danger.

Cette façon de voir est malheureusement insuffisante en matière de cancer et on retient aujourd’hui, en ce qui concerne la cancérogenèse chimique, que :

-le délai d’apparition d’un cancer est d’autant plus court que la dose totale de produit chimique reçue est élevée

-que l’étalement de la dose a été long, alors que l’étalement de la dose est d’autant plus long que le fractionnement est plus grand.

Il en résulte que la dose totale de produit chimique capable de donner naissance à un cancer est d’autant plus faible que celle-ci a été fractionnée.

Ainsi, il ne s’agit pas seulement d’un effet d’accumulation chimique dans l’organisme, comme on le pense pour les toxiques habituels, mais aussi de la répétition des agressions génotoxiques qui affectent les divisions cellulaires, à la manière d’un sorte d’effet cliquet. Ceci est un point important qui explique souvent la différence de points de vue entre biologistes toxicologues et cancérologues.

Il n’existe pas de seuil en cancérologie, et s’il existe des normes fixant les doses de produits toxiques à des seuils suffisamment bas pour rassurer, ces seuils restent trop élevés pour éviter l’apparition des cancers.

Pour fixer les idées, en ce qui concerne les doses ingérées, une comparaison avec l’homéopathie est intéressante: cette thérapeutique est une branche de la médecine fondée sur l’usage de médicaments à doses infinitésimales. La dilution de base est appelée CH, signifiant que le produit a une concentration de 1/100, ou encore 10-2. Les produits homéopathiques ayant souvent une concentration de 10CH, c’est-à-dire que l’opération de dilution a été répétée successivement 10 fois, conduisant à une dilution finale de (10-2)10, soit 10-20. Ce niveau de concentration est très inférieur, de plusieurs milliards de fois, aux seuils de pollution admis dans les produits que nous absorbons ou respirons. Si on admet l’efficacité de l’homéopathie dans le traitement de nos maladies, comment alors ne pas être convaincu de la nocivité des substances chimiques que nous ingérons en permanence?, sachant que les seuils fixés par les normes sanitaires correspondent à ce qu’il est possible de faire de mieux, et non pas à ce qui serait nécessaire pour éviter l’apparition des cancers.

 

 

Maïa l’abeille. La fin de la lune de miel.

Les graines qui donnent la mort

 

 

Les livres pour enfants, et plus encore les observations des naturalistes, nous ont initié aux merveilles de la vie des insectes dont les abeilles en particulier ont donné lieu à de magnifiques descriptions. Il faudrait aujourd’hui écrire d’autres livres sur ce sujet, dans le contexte de mort créé par les insecticides systémiques, le nombre d’abeilles victimes de ces produits étant estimé en France à plusieurs dizaines de milliards par an, ayant conduit 10 000 apiculteurs à mettre la clé sous la ruche, 500 000 d’entre elles ayant disparu entre 1995 et 2000.

Comment avons-pu en arriver là? Albert Einstein, pour qui les abeilles étaient les « sentinelles du monde » prophétisait :  » Si l’abeille venait à disparaître, l’homme

n’aurait plus que quelques années à vivre ». Qui en effet mieux que les abeilles participe à la pollinisation dans la nature, sur plus de 200 000 espèces à fleurs?

Un insecticide est dit systémique lorsque le produit, enrobant d’abord la semence, lors de la mise en terre et de la croissance de la plante va migrer dans les tissus, racines, tige, rameaux, feuilles, fleurs, fruits, c’est-à-dire dans tout le système de la plante.

Ces produits chimiques portant le nom de Gaucho®( molécule: Imidachlopride) de la firme Bayer et Régent® (molécule: Fipronil) de la société Rhône-Poulenc s’accompagnent d’un raffinement particulier dans le mode de destruction des insectes, par l’emploi de molécules neurotoxiques qui attaquent le système nerveux central. Merveille de la science et du marketing agricole, la graine enrobée qui donne la vie à la plante donne la mort à tous ceux qui s’en approchent!

On reste stupéfait de l’audace des concepteurs du produit, reprenant une idée des laboratoires d’armes chimiques destinées aux militaires, les neurotoxiques, interdits aujourd’hui par les conventions internationales, pour une application dans le domaine civil au tournesol et au maïs.

Naturellement, le lancement du produit par les concepteurs met en avant le fait que l’enrobage des semences « constitue un progrès considérable dans le processus de traitement des cultures puisque la substance active n’est plus gaspillée, contrairement aux épandages, où l’on estime à environ 25% la quantité de produit atteignant sa cible ». Est-il possible de trouver un langage plus militaire?

Les dommages dits collatéraux sont négligés ou niés au profit d’une vision mercantile à court terme, et profitant de la nouveauté du produit auquel on attribue toutes les qualités de l’innocence, les inventeurs/vendeurs du produit envahissent les marchés.

La saga de la lutte des apiculteurs pour faire admettre la réalité des dommages aux pouvoirs publics et au fabricant du produit est une longue suite d’atermoiements, de dissimulations et de mensonges de la part des autorités publiques et des fabricants, dont le dénouement partiel n’a pu être obtenu que par des actions en justice. On apprend, au cours de l’instruction que le Régent® TS avait été classé « T+très toxique », correspondant à la classe la plus dangereuse de produits chimiques connus, mais n’a jamais fait l’objet d’un arrêté interministériel des ministres chargés de la Santé, de l’Agriculture, de la Consommation et de l’Environnement, comme le prévoit la législation. Il est donc des cas où la loi – le Code de Santé Publique- ne s’applique pas aux multinationales. Selon certaines déclarations devant le juge d’instruction, il s’agit là d’une « absence de transparence poussée jusqu’à la caricature ».

 

Et l’histoire n’est pas finie, car les molécules du type neurotoxiques constituent une famille nombreuse et se retrouvent dans une foule de produits utilisés sous des noms différents dans l’entretien des arbres, le coton, les légumes, les produits pour gazon, plantes d’ornement, produits ménagers.

La position officielle est que ces produits sont des « insecticides », pas des « mammifèricides ». Or des études américaines récentes viennent de montrer la présence de ces molécules chez le rat, où l’on constate le mêmes symptômes que chez les insectes ( perte de motricité, tremblements, convulsions, apathie). Qu’en sera-t-il pour l’homme au final ? Il serait peut-être urgent de le changer de classification, au cas où on se souvienne qu’il est aussi un mammifère.

C’est des hommes et d’eux seulement qu’il faut avoir peur. Toujours. (Céline)

 

 

Le drame se situe toujours dans le décalage entre le discours triomphant des vendeurs, dont le but essentiel est toujours d’accroître les bénéfices de leur activité, les dommages collatéraux causés à la nature et aux hommes et les pouvoirs publics estimant le plus souvent qu’il est urgent d’attendre. Le rapport de forces des groupes en présence est toujours, dans un premier temps, favorable à l’industriel, qui dispose de la connaissance de son produit, du support de ses laboratoires, de sa structure industrielle et financière, face à un public éparpillé, non informé, lequel s’en remet en général à une administration publique aux moyens insuffisants, voire dérisoires, soumise parfois à l’influence de politiciens complices. Il faut attendre que les victimes de ces pratiques s’organisent en associations, que ces dernières entament des actions au pénal, que les médias commencent à relayer les débats, pour que les hommes politiques prennent des décisions, devenus subitement inquiets à la pespective d’être mis personnellement en examen. Ce processus peut durer des années. Mais le temps, si c’est de l’argent pour ceux qui vendent, ce sont aussi des victimes présentes et à venir.

 

L’histoire récente dans notre pays de la maîtrise de substances nocives ou des comportements dangereux créés par l’homme est en effet édifiante: depuis la mise en évidence de pathologies graves liées directement à des substances, soixante-dix ans se sont écoulés dans l’affaire de l’amiante, dix ans dans l’affaire de la vache folle, dix-neuf ans entre l’arrivée du nuage radioactif de Tchernobyl accompagné par les mensonges des autorités sanitaires françaises et les révélations des documents d’époque obtenus en 2005 par saisie sur commission rogatoire du juge chargé de l’enquête. Les méfaits du tabac ne sont toujours pas maîtrisés et bien que les corrélations entre vitesse et mortalité sur la route soient établies depuis longtemps, le passage éphémère d’un ministre atypique au poste de l’Intérieur en a apporté la démonstration en faisant simplement appliquer la loi par ceux dont c’est la fonction, et a obtenu une chute spectaculaire la mortalité routière.

 

Aux Etats-Unis, à la fin de son deuxième mandat en 1961, le président Eisenhower a mis solennellement son pays en garde contre l’influence et les agissements des lobbies de l’armement baptisés depuis lors complexe militaro-industriel. De fait, on a constaté que de nombreux sénateurs, soucieux d’assurer leur réélection, soutenaient des programmes militaires dans le seul but de maintenir des emplois dans l’état dont ils sont élus. Cette imbrication des intérêts privés et de la sphère publique conduit à un détournement de la puissance publique.

 

Dans un livre déjà ancien, Milton Friedman, prix Nobel d’économie, dénonçait ce qu’il avait appelé « les triangles de fer », indiquant les liens forts pouvant exister entre les lobbies industriels ou corporatistes, le pouvoir politique et l’administration, chacun trouvant avantage dans cette association, au point qu’il les considérait indestructibles. Ainsi se créent des multitudes de « triangles de fer », dès lors qu’une corporation réclame pour elle-même des dispositions qui l’avantagent, réglementaires, fiscales ou autres, les hommes politiques servent de relais auprès de l’administration pour la mise en œuvre des dispositions réclamées, l’administration trouvant une raison de conforter son existence.

 

La création, et le fonctionnement de chaque triangle de fer a un coût : c’est naturellement le contribuable qui le supporte. Mais l’absence de respect envers la nature et tous ses habitants, l’indifférence face à la disparition des espèces qui sont la richesse de notre monde a aujourd’hui un coût supplémentaire qui n’est plus seulement de nature financière, mais écologique.

 

 

 

 

 

 

 

Qui cueille une fleur dérange une étoile

 

 

Le dix-neuvième siècle, et plus encore le vingtième ont vu s’épanouir un productivisme extraordinaire, qui a permis la production de biens d’équipement et de consommation à des coûts de production de plus en plus faibles, améliorant considérablement les standards de vie de la population des pays occidentaux.

Ce productivisme, utilisant les ressources de la technique, est aussi apparu comme la meilleure manière de conduire à des profits pour l’entrepreneur, le bilan économique apportant la démonstration des avantages de la mécanisation, robotisation, remplaçant pratiquement dans tous les cas où cela était possible le travail humain par celui de la machine ou des processus.

Mais ce calcul financier n’est valable que dans les limites de l’entreprise, ou de l’acteur économique que nous sommes. Il ne prend pas en compte le coût des matières premières toujours considérées gratuites lorsqu’il s’agit des ressources naturelles, ni le coût de remise en état des sites industriels pollués, ni le coût de l’empoisonnement des sols par les produits chimiques, ni le coût de destruction des produits devenus encombrants après usage, ni le coût des rejets thermiques, ni le coût des espèces que l’on fait disparaître. D’ailleurs, peut-on encore parler de coût? Que vaut la vie? Une vie n’est rien, mais rien ne vaut la vie.

Staline, qui fut un artisan cynique de l’assassinat de millions de personnes avait coutume de dire que la mort d’un seul individu est vécue par les gens comme un drame, alors que la disparition d’un million de personnes n’est qu’une affaire de grands nombres. On pourrait dire qu’il avait vu juste, et que nous importe aujourd’hui la disparition des espèces végétales ou animales de notre monde?

Il est temps de comprendre que la Terre sur laquelle nous vivons constitue un système fermé, et le réchauffement climatique considéré comme impossible ou exagéré est aujourd’hui avéré. On ne s’étonne plus de s’apercevoir que le fait de brûler en quelques décennies les combustibles végétaux fossiles accumulés sur la planète en quelques centaines de millions d’années produise un changement que seules des modifications à l’échelle géologique pouvaient engendrer. Rappelons-nous que nous vivons au fond d’un océan de gaz, dans lequel chaque Français rejette en moyenne 8 tonnes de dioxyde de carbone par an. Voilà bien un constat déplaisant qui met en cause notre responsabilité individuelle.

 

L' »homo economicus » que nous sommes devenu s’est-il rendu compte qu’il participe à une économie barbare? Loin du porte-monnaie, …… loin du cœur.

Dites, Monsieur, c’est par où la sortie?

 

 

 

 

 

Quelle direction faut-il prendre pour échapper aux malheurs futurs que nous continuons à accumuler autour de nous? Deux options opposées s’offrent à nous : aller vers une gouvernance mondiale, ou une économie de proximité.

Nous constatons que les questions qui nous préoccupent dépassent le cadre national, et les communautés d’états se saisissent aujourd’hui des questions de santé publique.

 

L’Europe, dans le cadre du programme REACH ( de l’anglais Registration, enregistrement, Evaluation, évaluation, Authorization of CHemicals, autorisation de substances chimiques), tente de mettre en place une législation pour les 30 000 substances importées ou produites dans l’Union européenne en quantité supérieure à 1 tonne/an, dont le degré de sévérité serait lié aux volumes annuels , classés en catégories ( 1 à 10 tonnes, 10 à 100 tonnes, 100 à 1000 tonnes, plus de 1000 tonnes). La Commission européenne a estimé, qu’à l’heure actuelle, 99% des produits chimiques n’ont pas fait l’objet des tests nécessaires et échappent à l’évaluation de leurs dangers selon la réglementation mise en place à partir de 1981. Tâche immense que celle qui consiste à mettre de la transparence au service du public, et qui a déjà déclenché l’hostilité des industriels, des hommes politiques et des syndicats, peut-être mission impossible?

 

Les dirigeants des pays industrialisés de la planète ont également pris conscience des dangers du réchauffement climatique, qui risque à terme d’engendrer des bouleversements considérables. Le protocole de Kyoto existe, mais est-il autre chose qu’un document international supplémentaire destiné plus à donner bonne conscience aux signataires qu’à remédier à la situation, et une occasion pour les hommes politiques de soigner leur propre publicité ?

Clémenceau disait que la guerre est une affaire trop sérieuse pour être confiée aux militaires. L’écologie, elle, est une affaire trop sérieuse pour être confiée aux politiques. Elle est le bien le plus précieux de chacun, et il appartient à chacun de nous de la défendre, en cessant de se laisser embarquer sur ce Titanic qui navigue vers sa perte.

Il s’agit ici d’une forme de révolution culturelle, d’une protestation face à la pensée unique et dominatrice véhiculée par les spécialistes du marketing commercial et politique, d’un retour à l’indépendance de jugement et d’esprit, de retrouver ce supplément d’âme dont parlait Bergson.

L’exercice de cette responsabilité redonne du sens à chacun des actes simples de notre vie, dans le cadre d’une immense solidarité avec la nature et tous nos amis du vivant.

Nous avons pu avoir des comportements de drogués dans l’euphorie d’une croissance sans limite, mais on s’aperçoit qu’il est relativement facile d’amorcer la désintoxication.

 

Rejeter les produits chimiques qui nous atteignent par l’alimentation, c’est tout simplement acheter des produits locaux cultivés sans pesticides, par des gens que l’on connaît, avec lesquels on peut s’entretenir. Cette relation reconstruit un monde de proximité et d’entre aide en abandonnant les fournisseurs anonymes, tout en favorisant l’emploi local. Et si les prix des produits biologiques sont plus élevés que ceux produits par l’agriculture intensive, l’écart de prix représente simplement le coût de la pollution à laquelle on s’interdit de contribuer.

 

 

 

 

Réduire la consommation d’énergie est un exercice qui demande aussi un effort de désintoxication, tant dans les transports que dans les habitudes domestiques. Mais c’est aussi le plaisir d’avoir surmonté la tentation de la facilité.  » Quand deux options se présentent à vous, choisissez la plus difficile : c’est toujours la meilleure » disait le Général de Gaulle.

 

Les petits ruisseaux font les grandes rivières, et on découvre rapidement que beaucoup se préoccupent d’adopter un comportement vertueux de citoyen du monde, devançant de loin toutes les organisations politiques.

Le temps n’est plus où le peuple pouvait s’en remettre à un despote éclairé qui saurait mener la nation sur le chemin du progrès. Par contre, il ne manquera jamais de personnages proches des sphères du pouvoir pour voler au secours de la victoire du peuple, et profiter de la portance d’un mouvement d’opinion.

C’est dans cette perspective que Nicolas Hulot, bien connu pour ses reportages sur la nature, a créé le 24 mai 2005 un site internet ( www.defipourlaterre.org) ouvert à tous, en proposant à chacun de s’engager concrètement par une ou plusieurs actions à participer à la sauvegarde de la planète. Un compteur affiché en permanence indique le nombre d’adhérents ( 63 000 le 31 mai). Il ne s’agit pas d’un parti politique , mais cette approche référendaire, uniquement fondée sur le volontariat, pourra devenir une base pour motiver les hommes politiques pour prendre le relais au niveau de l’action institutionnelle et gouvernementale, selon le vieux principe bien connu : Je suis leur chef, donc je les suis.

Les industriels et commerçants ne seront certainement pas en reste pour saisir le sens du marché, chacun se souvenant de l’effondrement du marché de la viande lors du scandale de la  » vache folle ». Un scandale d’ordre chimico-végétal aurait des conséquences encore bien plus redoutables sur le chiffre d’affaires des producteurs que cette affaire bovine qu’on a voulu présenter comme un accident isolé.

Les céréaliers, par exemple ont déjà engagé une action pour tenter à la fois de limiter les abus de pesticides, herbicides, et autres biocides, utilisés par épandage plus d’une dizaine de fois lors de la croissance des blés, et en même temps en direction du public en créant le label « Culture Raisonnée Contrôlée » (CRC), en ayant conscience du lien de cause à effet probable entre cancer et résidus de produits phytosanitaires et démontrer que ce risque est pris en compte. Malheureusement, la transparence n’est pas au rendez-vous, car il est impossible de se procurer le cahier des charges CRC utilisé comme référentiel qualité, celui-ci étant  » réservé à l’usage des organismes qui en assurent la production ». Alors qu’un Référentiel Qualité est la base du contrat de confiance qui lie le producteur à ses clients, voilà que ces derniers n’ont pas le droit de savoir, sauf à se rendre en personne pour consultation du document au ministère de l’agriculture. Tout ceci sent la méfiance à l’égard du Français de base ( message reçu à ce sujet par courrier électronique le 9 septembre 2004 : Je vous laisse le soin de lui faire une leçon pointue et brillante sur le CRC afin qu’il cesse ses investigations).

 

Le regretté Fernand Raynaud ne savait pas qu’il nous ferait rire aussi longtemps lorsqu’il nous parlait  » des galas organisés au profit des organisateurs de galas ».

 

Car il ne faut pas oublier le rire. Ce sera bientôt un remède recommandé par la Faculté, en particulier pour la prévention des maladies cardiovasculaires depuis qu’une équipe américaine en a mesuré les effets bénéfiques sur des sujets soumis à des séances de cinéma comique par comparaison à un groupe assistant à des séances à caractère dramatique.

 

Avec Dante, nous savons que nous participons à la Comédie Humaine. Nous avons donc de quoi rire, et il faut l’espérer, pour longtemps.

 

 

 

 

 

 

Juin 2005.

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