EUTHANASIE

Publié le 18 décembre 2022

MOURIR OUI, SOUFFRIR NON

Venant du grec, le terme euthanasie signifie « bonne mort ». Mourir dans de bonnes conditions est certainement le souhait de tout homme avec des variables tenant compte aussi des concepts religieux ou philosophiques de chacun.

Dans le langage moderne ce terme est devenu synonyme de « comment faire mourir dans de bonnes conditions» en excluant l’homicide criminel.

Dans la pratique, le consensus s’est fait dans le corps médical pour mettre en œuvre les techniques destinées à aider à « bien » mourir. Or celui-ci, par respect du serment d’Hippocrate et du code de déontologie, s’interdit de donner la mort. Le médecin et tous les membres du corps paramédical sont à priori là pour soigner, non pour tuer. Le même problème s’est posé pour l’avortement, crime pour certains, libération de la femme pour les autres. La législation a évolué favorablement pour l’avortement et, en ce qui concerne l’euthanasie, jusque là illégale, la loi Claeys-Leonetti d’avril 2005 complétée en 2016 est venue clarifier les choses en interdisant tout d’abord l’acharnement thérapeutique (ce qu’on a appelé l’obstination déraisonnable), puis permettant de demander l’accès à la sédation profonde, c’est-à-dire en mettant le malade en limite de conscience ou en l’endormant complètement selon les nécessités en particulier en fonction de l’intensité de la douleur entrant dans le cadre des « soins palliatifs ».  C’est ce qu’on appelle aussi « l’euthanasie passive » par opposition à « l’euthanasie active » où une tierce personne peut administrer un produit létal ou encore lorsque le malade lui-même peut le faire, aidé par une tierce personne, c’est le « suicide assisté ».

Cette Loi de 2016 a créé de nouveaux droits pour les malades et les personnes en fin de vie, en supprimant la condition de durée des directives anticipées, en renforçant le rôle de la personne de confiance et en rendant contraignantes les directives pour le médecin ; la décision finale devant être prise par discussion collégiale.

 

CERTAINES CONTRAINTES DEMEURENT

Pour fonctionner convenablement, il est néanmoins nécessaire :

– De respecter la clause de conscience des médecins, c’est-à-dire la liberté ou non pour eux de favoriser les décès en fonction de leurs propres convictions ou valeurs morales. Le respect de cette clause est sans cesse remis en cause. On l’a vu pour l’avortement.

– De respecter la volonté des patients (ce qu’on appelle leurs directives anticipées), d’où l’absolue  nécessité pour chacun d’entre nous de faire connaître ses volontés en la matière de son vivant et encore en bonne santé pour éviter au maximum les difficultés parfois majeures avec l’entourage familial. Rappelez vous l’affaire Lambert.

– De penser au changement d’avis des demandeurs : une étude en Irlande portant sur 8100 personnes de plus de 50 ans favorables au départ à l’euthanasie a montré que les ¾ des 4% les plus âgés ne souhaitent plus avoir recours à l’euthanasie mais se tournaient plus vers la recherche d’un accompagnement et de confort en fin de vie.

Pour l’instant, l’euthanasie « active » est interdite en France, d’où les procès ayant concerné des médecins ou infirmières qui, par compassion, ont aidé délibérément des patients à mourir.

Elle est déjà admise avec des modalités un peu différentes dans certains pays comme les Pays Bas, la Belgique, la Suisse, le Luxembourg et le dernier l’Espagne depuis 2019. Mais il existe toujours un certain niveau de contrôle (commissions, concertation collective, médecin expert) pour éviter au maximum des décès criminels déguisés (familles voulant se débarrasser d’un membre de la famille), des facultés intellectuelles diminuées ne permettant pas de comprendre le processus, des impossibilités physiques des demandeurs). Le fonctionnement des commissions de contrôle  a même été judiciairement contesté en Suisse ! Mais les décisions de donner un accord pour le suicide assisté sont  toujours collégiales.

Cependant, toutes ces modalités se heurtent à des problèmes non réglés pour l’instant :

–  Cas des personnes en perte d’autonomie physique (impossible pour elle de s’auto injecter un produit en cas de suicide assisté)

–  Cas des personnes psychiquement instable ou complètement déficientes pour comprendre ce qu’on peut leur proposer

– Problème des enfants mineurs

– Problème des changements d’avis pas toujours connus.

– Interprétation de la douleur différente entre le patient et son entourage.

– Faudra t-il créer une profession spécifique (comme aidant ?) dans le cadre du suicide assisté ? 

 

REFLEXION ETHIQUE

Se positionner ici peut se faire de différentes manières. On peut prendre position sous un angle politique, partisan, ou encore corporatiste ou sous un angle éthique. Nous avons choisi un regard éthique. Ce regard a l’avantage de bien distinguer le niveau individuel (éthique individuelle) du niveau collectif (l’éthique sociétale, souvent appelée « la morale »), et ensuite de voir  de plus près les valeurs éthiques/morales en jeu.

Les valeurs éthiques ici en jeu sont la valeur de la Vie et la valeur de la Liberté Individuelle. Si on regarde la valeur de la Vie (humaine) de plus près, elle est régulièrement présentée comme la valeur suprême au niveau d’une société (voir les mesures de confinements lors de la crise COVID 19), mais au niveau individuel des personnes peuvent sacrifier leur vie pour « la liberté » (Résistants en France) ! Au niveau collectif (domaine de la loi et de la politique) la Vie peut être une valeur absolue, tandis qu’au niveau individuel, la Vie peut devenir une valeur relative.

Nous savons que depuis les Dix Commandements la Vie est considérée par les autorités politiques et leurs lois comme si important qu’il est interdit de tuer, de donner la mort à l’autre, mais aussi à soi-même (suicide). Et si on tuait quand-même l’autre, surtout dans les guerres, on le justifiait moralement avec la même valeur de Vie, en disant : c’est pour sauver la vie des miens, c’est pour me défendre que je suis obligé de tuer.

Or le projet de loi en élaboration n’argumente pas de cette façon pour justifier d’aider quelqu’un à se tuer soi-même. L’argumentation se réfère d’une part à la Liberté Individuelle de la personne qui veut se tuer, et d’autre part, à sa souffrance, physique ou psychique, donc à sa Qualité de Vie. Ces deux valeurs éthiques sont souvent résumées dans la valeur éthique de la « Dignité ».

Les acteurs politiques, adeptes de ce choix éthique plaident donc en faveur d’une loi, qui donne à cette personne un droit au suicide assisté.  Cela est souvent présenté comme un droit à une « aide à mourir », une formulation qui cache le fait qu’il ne s’agit pas ici d’un processus naturel de la mort, mais bien d’un acte où on tue.

Or un tel droit au suicide assisté poserait beaucoup de problèmes, déjà mentionnés –sans référence explicite à l’éthique – dans la première partie de cet article.

  1. La Liberté Individuelle, qui se concrétiserait ici dans le libre arbitre, suppose que la personne est vraiment libre quand elle décide de se tuer ou de se faire tuer. Or on n’a pas besoin d’être un spécialiste en psychologie pour savoir que le libre arbitre –qui suppose une capacité de raisonnement – peut vite être contraint par l’instinct (exp. la peur), la drogue, des problèmes psychiques ou des pressions psychologiques venant de l’extérieur.
  2. La Liberté Individuelle inclut aussi la liberté de changer son avis. Or, quoi faire quand une personne signe un jour, où elle va bien, un document, sollicitant une assistance pour son suicide, plus tard elle change d’avis, mais sans pouvoir l’exprimer, ou sans être pris au sérieux, car considérée de ne plus disposer de son  libre arbitre ?
  3. Etablir par une loi le droit à un suicide assisté, imposerait l’obligation aux médecins (et aux personnels soignants ?) de tuer un patient. Une telle obligation s’opposerait à la Liberté Individuelle et au code éthique (appelé la « déontologie ») des médecins, en vigueur depuis Hippocrate.

 

SOINS PALLIATIFS OUBLIES  ET CONSISERATIONS ECONOMIQUES

Une telle loi, votée au nom de la Liberté Individuelle et de la Qualité de Vie, suppose un libre arbitre, pas facile à saisir à la fin de vie d’une personne largement souffrante, ne respecterait pas la Liberté Individuelle des médecins et s’opposerait à l’éthique du corps médical selon laquelle la valeur et la préservation de la Vie prime sur la valeur de la Liberté Individuelle, mais aussi réduirait l’effort de promotion de la Qualité de Vie via des soins palliatifs, en préférant les aider à se tuer.

Finalement, une telle loi réduirait les dépenses de l’Etat et de l’assurance maladie pour les soins d’une population vieillissante. Et les valeurs financières augmenteraient, déguisées en valeurs éthiques.

Il devient évident que tout jugement éthique ou moral va pouvoir se manifester de deux manières différentes : ou cibler le comportement individuel  d’une personne concernée ou viser la qualité éthique d’une loi qui impose une norme morale pour toute une société.

Notre position ne confond pas ces deux niveaux. Au niveau individuel, personne au CRI ne se croit bien placé pour condamner automatiquement le comportement des membres de l’entourage face à la demande d’un proche pour un suicide assisté ou le choix personnel de l’intéressé.

Cela se présente différemment pour porter un jugement éthique à propos d’une loi. Vu les nombreux problèmes soulevés et qu’une des raisons principales est, sans doute, d’ordre économique et non d’ordre moral, le CRI reste extrêmement sceptique quant à la dimension éthique d’une telle loi.

Il est évident que la motivation d’ordre économique avance déguisée présentant le suicide assisté comme un acte hautement éthique, et comme un droit sur la nature, alors que le non-respect de ses lois (comme dans les problèmes climatiques) est unanimement condamné.

Le projet de loi dont il est question devra en tout état de cause respecter au mieux les intimes convictions de tous, patients en situation dramatique et acteurs de santé en confrontation directe avec la mort tout en évitant de tomber dans le piège de la considération économique.

 

 

 

 

 

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