LA FAIM DU MONDE AGRICOLE

Publié le 11 avril 2016

Toutes les manifestations du monde agricole français de ces dernières semaines, ajoutées à celles du dernier salon de l’agriculture (président de la république conspué, démontage du stand du ministère de l’agriculture) démontrent à la fois la désespérance de celui-ci mais aussi sa foi en l’avenir (mise en valeur des produits de nos terroirs) ce qui n’est pas irréaliste à la condition de relever et de réussir de très nombreux défis.

Ceux -ci sont déjà présents au niveau des exploitations puis s’étendent peu à peu à la dimension territoriale de notre pays , à l’exportation, à tout le domaine de l’aval de la production et de la distribution, au comportement des consommateurs. Les problèmes agricoles sont du domaine de toute une chaîne qui doit prendre en compte d’autres paramètres autres que l’économique à savoir ceux de l’éthique de fonctionnement de cette chaîne sans oublier de respecter la nature, ce qui nécessite d’adopter un comportement écologique responsable à tous les niveaux.

L’être humain a besoin de boire et manger, mais il doit pouvoir le faire en préservant la vie de tous les acteurs de la chaîne alimentaire et la survie de toutes ses sources d’approvisionnement qui ne sont pas extensibles à l’infini pour nourrir une population croissant en nombre de façon exponentielle, même si l’imagination humaine entrevoit des possibilités encore à peine esquissées (récupération de zones arables, utilisation de plantes ou animaux mieux adaptés aux nouvelles conditions climatiques, cultures urbaines etc.. ).

 

Mais parmi les défis à relever, les plus importants à l’heure actuelle, sont de trois types:

– Les défis économiques

– Les défis environnementaux

– Les défis éthiques

 

LES  DEFIS  ECONOMIQUES:

On les retrouve à plusieurs niveaux

 Production – Transformation- distribution-consommation avec toutes les étapes intermédiaires de vente -achat et de transport

 Production: nos agriculteurs ont été soumis au fil du temps au « taylorisme industriel » à savoir produire plus pour que cela coûte moins cher aux autres acteurs en aval de la production. On a donc assisté à une diminution du nombre des exploitations au profit de plus grandes, à une mécanisation de plus en plus poussée, à une augmentation du rendement des terres et de l’élevage par utilisation d’engrais, pesticides et antibiotiques.

En y ajoutant des normes en tous genres (sanitaires, environnementales), un accroissement du prix des terres agricoles, des investissements très importants ont été faits. Pour y faire face, des aides financières ont été accordées par l’Etat et l’Europe (Politique Agricole Commune mise en place en 1962) qui ont énormément profité à nos « paysans », mais qui, en diminuant maintenant les a mis en situation de choc frontal avec les prix pratiqués sur les marchés mondiaux, les a privé de financement pour aller plus loin dans l’amélioration de leur compétitivité (qui aurait dû se faire plus rapidement sous l’effet des aides de la PAC) )et de marge de manœuvre devant les loups-acheteurs des circuits de grande distribution.

La production est bien évidemment soumise à l’immense essoreuse financière que sont les impôts, taxes et charges sociales diverses qui sont au maximum en France par rapport à la plupart des pays.

Le monde agricole n’a ensuite pratiquement plus prise sur la suite de la chaîne des intervenants jusqu’au consommateur.

Tout au plus, pour produire et vendre peut-il bénéficier des services des coopératives, s’organiser en GAEC, obtenir des crédits auprès de ses systèmes bancaires spécialisés ou encore quelques aides de l’Etat mais cela ne va pas plus loin.

Ce n’est pas lui qui gère directement les exportations qui peuvent elles- mêmes fluctuer avec les prix des marchés mondiaux, les catastrophes naturelles, les embargos (comme celui dirigé contre la Russie actuellement) ou les lubies sanitaires démesurées (cas des fromages non pasteurisés pour les USA).

Les prix de la production vont maintenant être augmentés par les acheteurs (ex: marché de gros comme Rungis, mareyeurs), transports, les industries de conservation (silos, frigos) , de transformation (abattoirs, fabricants de produits alimentaires en tout genre).

Tous ces intermédiaires doivent bien évidemment gagner leur vie, mais tous témoignent en général de modération dans leurs exigences, bien qu’eux -mêmes, comme tous les autres, sont soumis à impôts, taxes et charges sociales au sommet.

Les tarifs seront augmentés à l’étape suivante: la distribution, et plus précisément, la Grande Distribution (GD) qui essaie par tous les moyens de contraindre les prix au prétexte apparent de satisfaire le consommateur.

Cette pression très prégnante remonte jusqu’à la production en passant par tous les acteurs intermédiaires, avec tous les effets pernicieux que cela peut avoir sur eux, et, en corollaire, la mise en vente de produits de moins bonne qualité, incitant à produire de façon dégradante pour l’environnement.

Nous connaissons les pressions faites pour être en tête de  gondole, le système des marges arrière et tout simplement la prostitution  requise pour être référencé. Des mesures ont été prises pour limiter les abus mais..

Il faut remarquer que les enseignes de la GD se battent entre elles presqu’exclusivement sur les prix et bien plus rarement sur la provenance ou la qualité de ses produits.

Le consommateur, en fin de chaîne, est lui même l’ acteur décisif qui façonne le comportement de la chaîne d’amont:

– recherche du prix minimum en ne se souciant pas de savoir comment vit la dite chaîne  mais il est vrai que les situations économiques de ceux -ci sont parfois très difficiles et que cette recherche du moindre prix est justifiée.

– acceptation de produits standardisés, qui doivent être impeccables en présentation (d’où utilisation de pesticides ) mais sans goût.

– acceptation de la malbouffe d’une manière générale car le temps des repas est devenu la seule variable d’ajustement dans le temps d’une journée de travail.

– acceptation de la malbouffe pour des considérations très diverses: mode diététique, ambiance des repas,  distance par rapport au domicile, considérations esthétiques etc..

Nous mangeons moins de viande maintenant qu’il y a quelques années, moins de pain, pas mal de poulet (mais un sur trois vient du Brésil !).

 LES  DEFIS  ENVIRONNEMENTAUX:

Le monde agricole français, outre les défis économiques, est également la cible des organisations écologiques pour qui le modèle de production est totalement inadéquat avec la survie de la biodiversité et  notre santé.

La France utilise environ 80 000 tonnes de pesticides par an (dont 20% dans les vignes et 10% en horticulture).

L’ensemble de ces produits, bien que détruit dans la nature par différents processus, laisse des résidus qui, absorbés en faible quantité mais de façon régulière avec le temps et par un effet cocktail entre eux, sont susceptibles de provoquer l’apparition de cancers et de réduire la fertilité humaine.

Par ailleurs, détruisant plantes (dites mauvaises herbes), animaux grands et petits, microorganismes, ils en réduisent le nombre,  bouleversent la biodiversité et transforment les milieux vivants comme la terre en milieu mort.

Tout ceci peut avoir de graves conséquences pour l’avenir de toutes les productions agricoles, d’où la progression du « BIO »

De plus en plus d’exploitations « bio » voient le jour, mais ne sont pas encore capables de produire suffisamment pour nourrir l’ensemble de la population de notre pays.

De plus, ces produits subissent à leur tour des critiques: ils sont plus chers, ils ne se sont pas toujours vraiment bio (d’où les labels bio), ils sont contaminés par les pesticides comme les autres, il n’ont pas forcément meilleur goût , leur valeur nutritive (meilleur taux de vitamines, d’oligoéléments) n’est pas obligatoirement meilleure, leur présentation  n’est pas toujours « top ».

Cultiver « bio » nécessite plus de travail pour les professionnels que la culture classique.

Cependant, de plus en plus d’agriculteurs viennent au bio après des reconversions pas toujours faciles car elles obligent à un temps mort de production pendant lequel le professionnel ne gagne rien.

Beaucoup d’agriculteurs utilisent une solution intermédiaire: l’agriculture raisonnée. On utilise engrais et pesticides mais après étude minutieuse des sols et des végétations parasites pour ne donner que le strict nécessaire en produit et utiliser des techniques agricoles pour supplanter ceux-ci. (Ex: couchage de l’herbe au lieu du désherbant). Il en est de même pour les traitements aux animaux (pas d’antibiotiques systématiques).

Les agriculteurs classiques ou bio ont également beaucoup investi dans le  sanitaire après la crise de la vache folle ou dans le traitement des effluents (lisier).

LE  DEFI  ETHIQUE:

Il est normal de rétribuer les acteurs de la filière en fonction du travail fourni et de sa pénibilité. C’est ce que demandent en priorité les agriculteurs actuellement, plutôt que de vivre de la charité nationale ou européenne.

Pour le consommateur,  l’éthique, c’est la possibilité d’utiliser des produits avec un risque minimum pour sa santé et celles de ses enfants tout en sachant qu’il ne détruit pas le monde qui l’entoure.

Ainsi, ce ne sera pas la fin du monde agricole qui, ne l’oublions pas, est aussi à l’origine de la plupart de nos traditions.

Préserver la vie de tous doit  être la règle.

 DES  SOLUTIONS ?

 Les consommateurs doivent  être les arbitres de l’amélioration de la qualité de nos produits. Ce sont eux qui pourront forcer les circuits d’amont à fonctionner le mieux possible.

Ils doivent faire entendre leur voix.

En conséquence, il faudrait:

– une meilleure information du public sur les qualités des produits agricoles français et européens par les représentants du monde agricole (Chambre d’Agriculture et leurs équivalents européens)

– amélioration de la distribution en circuit court mais aussi en GD: exigence     d’une meilleure représentation des produits locaux et bio.

– imaginer une distribution du « bio » allant plus loin que le circuit court actuel en petites boutiques souvent plus ou moins bien gérées mais en véritable super- marchés agricoles tenus par des responsables compétents en marketing mais acquis à la cause paysanne où l’on trouverait les meilleurs produits venant de toutes les régions de France et d’Europe par préférence communautaire ainsi que de l’importation de qualité pour respecter les règles de l’OMC.

– Régler à l’échelon européen les coûts de main d’œuvre en rapport avec la      venue de travailleurs étrangers.

– Une meilleure répartition de la subvention agricole (9 milliards d’Euros) en provenance de l’Europe, qui privilégie les grandes exploitations.

 

Une fois mis en place, ces quelques propositions augmentées de quelques décisions politiques à niveau européen et de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) devraient permettre une sortie de crise souhaitée par tous.

La fin du monde agricole ne doit pas survenir demain.

La faim du monde agricole en réformes adéquates ne doit pas attendre.

 

CRI  avril 2016

 

 

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