LA FRANCE MORALISATRICE ?

Publié le 3 juin 2021

 Tout d’abord, il faut toujours faire la différence entre, d’une part avoir et même afficher son propre système de valeurs morales, son « éthique personnelle »,  et, d’autre part, vouloir imposer aux autres, de manières variées, son propre système de valeurs morales !

C’est cette dernière approche, qu’on appelle « faire la morale aux autres » ou encore « vouloir donner des leçons », qui est exécutée par des « moralisateurs », et, pour se conformer au mode inclusif, par des  « moralisatrices », ce qui en soi est également un processus moralisateur !

Or, même si la société française a depuis longtemps refusé, dans sa grande majorité, la morale prêchée par l’Eglise catholique, elle garde et cultive jusqu’aujourd’hui, parfois à outrance, un héritage de cette même Eglise, c’est-à-dire faire la morale aux autres.

Cette démarche moralisatrice des églises chrétiennes – n’oublions pas que cette démarche a été suivie aussi par beaucoup d’églises protestantes – s’est révélée une erreur historique de ces Eglises, car de cette manière elles ont créé une énorme confusion entre la foi et la morale. Comme résultats de cette confusion citons ici seulement :

1)     l’expression « ceci n’est pas très catholique », pour désigner un comportement immoral, ou simplement inadéquat, indépendamment de la foi ou des convictions de l’acteur/actrice

2)     le fait que la foi chrétienne était définie, comme être « gentille » (Cf : « Aimez vous les uns les autres »), réclamant ainsi consciemment ou inconsciemment le monopole de la gentillesse pour les chrétiens

3)     les adversaires de l’Eglise – et dans l’histoire de France il  en y a eu toujours beaucoup – pouvaient et peuvent d’une façon légitime souligner que « pour être moral ou gentil on n’a pas besoin d’être chrétien » ; ils/elles peuvent aussi utiliser cette erreur d’une autre manière en mettant en cause la foi chrétienne, en révélant, par exemple,  tous les actes immoraux pratiqués par des membres des églises (les exemples ne manquent pas jusqu’aujourd’hui avec les problèmes de pédophilie).

Sachant qu’un ensemble de valeurs morales est nécessaire pour la cohésion d’une société, d’une nation, on a essayé de remplacer la morale « catho » par la morale de la « République », dont les instituteurs étaient les nouveaux prêtres. Au fil des temps pourtant, le clivage « gauche–droite » s’est développé et a sapé (ou révélé) que les Français/es ne partageaient pas vraiment le même ensemble de valeurs, ou tout du  moins, ne donnaient pas le même poids aux différents valeurs qui formaient cet ensemble.

C’est la raison pour laquelle nous vivons aujourd’hui une situation où la gauche  nous « prêche » ses valeurs (par exp : « le progrès ») et la droite les siennes (par exp : « l’identité française »). Or, tous les deux ont gardé pour la promotion de leurs « valeurs », l’approche moralisatrice.  

Ceci est toujours nuisible pour la qualité du débat démocratique, car elle invite de glisser de l’argumentation vers la rhétorique, et de s’en prendre à la vie morale de la personne qui argumente au lieu de critiquer son argumentation. Cette façon de faire s’est récemment renforcée par l’approche moralisatrice anglo-saxonne, puritaine (= chrétienne), qui alimente une certaine version du féminisme, du libéralisme et du contrôle de la langue.

Face à cela la droite semble être face à un dilemme. Soit elle partage la valeur de « progrès » et les autres valeurs « sociétales », promues par son adversaire politique, et le citoyen se demande où serait encore la différence de valeurs avec la gauche , soit elle choisit l’approche « identitaire » soulignant ainsi l’importance de la nation française.

Cette deuxième option pose également un problème, car – comme l’histoire de l’Eglise l’a montré –  on ne peut pas souligner une spécificité, une identité (dans le cadre de l’Eglise : la foi) par la morale. Pourquoi ? La première raison est que la morale représente seulement un élément parmi d’autres qui composent une identité. Cela sera un regard extrêmement réducteur sur l’identité.  La deuxième raison est fournie par le fait que les valeurs morales (par exp. les valeurs chrétiennes) peuvent être partagées par d’autres (religions, philosophies, systèmes politiques), et ne sont ainsi pas quelque chose de spécifique. Même si partage et dialogue sont primordiaux pour la cohésion sociale, le dialogue ne remplace pas une identité, elle la suppose comme déjà inhérente aux personnes qui y participent.

La France aurait pu retrouver une solide cohésion sociale pour affronter ensemble les défis du XXIème siècle si elle avait su, dans un dialogue, et non un combat, rendre transparent et faire valoir de véritables valeurs sociétales communes argumentées, sans astuces de communication (media ?), et que le citoyen ait pu écouter et peser ces arguments sans subir d’abord un bombardement moralisateur.

 

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