LA REFORME TERRITORIALE
Publié le 6 janvier 2015
LA REFORME TERRITORIALE
Ou la réforme dont la France aurait besoin ?
Le gouvernement prépare une réforme de l’administration territoriale avec pour ambition de réduire le millefeuille territorial : bouleversement ? Réforme utile ? Avancée dans le bon sens ?
Rappel historique en bref :
– Création du millefeuille
Les départements, -bizarrerie française que l’on peut traverser à cheval en un jour- ont une mère,la Révolutionfrançaise qui a fait de ce découpage un outil vers l’égalité entre les territoires. L’empire napoléonien s’est appuyé sur cet instrument d’unification pour étendre partout le pouvoir de l’Etat central. La troisième République en 1871 consacre les départements en collectivités territoriales appelées désormais « conseils généraux », et leurs membres sont élus au suffrage universel… masculin.
Le 2 mars 1982, jour de promulgation de la première loi de décentralisation, la fonction du département change de sens (Loi dite Defferre). Le préfet cesse d’en représenter le pouvoir exécutif, qui passe désormais sous la pleine responsabilité du président élu du conseil général, conformément à l’organisation constitutionnelle des pouvoirs (parallèle entre les articles 34 et 47 de la Constitution). Bien entendu les décisions des conseils généraux sont soumises à la loi. Mais le contrôle de légalité n’est plus fait a priori, par décision du préfet, mais a posteriori par la juridiction administrative.
Du côté des régions se joue en parallèle une mutation comparable : en 1986 les membres des 22 conseils régionaux sont élus pour la première fois au suffrage universel, mais leur lien réel d’élus au territoire est en partie dissous par le scrutin de liste. Ces régions ne sont pas des « Nomenclatures des Unités Territoriales Statistiques » (NUTS) de niveau 1 comme le souhaite l’administration de l’Union européenne. Ces « NUTS 1 » ne correspondent à aucun échelon administratif existant ; pas plus les 22 régions actuelles, que les 13 proposées un bref moment par le gouvernement, ou encore les 7 selon le découpage des circonscriptions électorales européennes en France métropolitaine. Ces régions dites ″de taille européenne″ seront, selon l’administration de l’Union européenne, les 8 régions taillées en rapport avec un ancien classement de l’INSEE effectué en 1967 et affublées d’un nom étrange : les Zones d’Etudes et d’Aménagement du Territoire (ZEAT). Le mythe de ces 3 niveaux de région et celui de la région de taille européenne conforte le ressenti d’une approche purement technocratique, prétendument commode pour l’administration, mais sans rapport ni avec l’histoire, ni avec la volonté des Français.
Les tentatives successives, à partir des années70’, de faire dela Délégationà l’Aménagement du Territoire et à l’Attractivité Régionale (DATAR) une ressource au service des collectivités territoriales, ont été régulièrement contredites par les réflexes décidément jacobins du pouvoir central.
– Evolution des compétences
La bête noire des pourfendeurs du millefeuille est la « clause générale de compétence » souvent déformée à bon escient en « clause de compétence générale »
Dès 1884 la loi accorde aux communes une capacité d’intervention sur tout ce qui concerne l’intérêt public. Cela leur permet d’assurer outre leurs responsabilités spécifiques, comme celles de tenir l’état civil ou de construire les écoles communales, mais aussi de délibérer sur tout sujet qui relève des affaires de la collectivité. Les lois de décentralisation de 1982 à 1985 en confortent la portée, consacrant par là même l’institution : ainsi les collectivités territoriales sont désormais investis de vrais pouvoirs représentatifs pour des responsabilités étendues, exercées par le biais de l’autonomie financière (la Dotation Généralede Fonctionnement, DGF).
La « clause générale de compétence » différencie les collectivités territoriales des Etablissements Publics Coopération Intercommunale (EPCI) qui n’ont l’autorisation d’agir que dans le cadre d’attributions précises et qui, de ce fait, constituent, aux yeux de certains, plutôt des commodités administratives que des pouvoirs décentralisés de plein exercice. L’Etat est-il capable de réellement confier d’une main des parties de son pouvoir sans le reprendre de l’autre ?
Les intercommunalités, qui réunissent pour des fonctions précises des communes sans distinction de couleur politique, deviennent des établissements publics de coopération intercommunale et ne peuvent intervenir que sur les missions qui leur sont explicitement reconnues. Cela les distingue des collectivités territoriales sans modifier le statut constitutionnel de ces dernières.
On peut donc dire que depuis la loi Defferre de 1982la Franceest entrée dans une logique de gouvernance à plusieurs niveaux mais sans s’être dotée d’une réelle doctrine construite sur une cohérence des compétences décentralisées entre niveaux, ou sur des principes hiérarchisés
– Autre particularité : la règle d’or
Depuis des décennies l’Etat propose et fait voter des Lois de Finances présentant toujours un budget en déficit. La loi interdit cette liberté comptable aux collectivités locales lesquelles sont tenues à « la règle d’or », c’est-à-dire à un budget en équilibre. En d’autres termes pas de dépenses supérieures aux recettes ! Les chiffres sont d’ailleurs sans appel : la dette de l’ensemble des collectivités territoriales et de leurs groupements ne représente que 6,5% de la richesse nationale (PIB). Par ailleurs les collectivités territoriales sont responsables de 8,9% de l’ensemble de la dette publique alors qu’elles assurent 71% de l’investissement public (écoles, infrastructures de transport, etc.) lesquels sont source de milliers d’emplois.
Ainsi depuis plus de 30 ans les lois de décentralisation ont marqué la gouvernance de notre pays. Cependant, en dépit des promesses de simplifications administratives et de réductions budgétaires, les réformes mises en place s’appuient en pratique, dans les faits sur deux échelons de décision, les régions et tous types d’établissements de coopération intercommunales, mais sans rien retirer ou modifier des marges d’autonomie des autres collectivités.
De ce fait aujourd’hui les instances décisionnaires dans notre pays sont les suivantes :
– l’Etat
– 22 régions
101 départements
– 36.763 communes
– 7.127 Etablissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI) dont 12 voire 14 métropoles, 228 communautés d’agglomérations, 2223 communautés de communes, 14.305 syndicats intercommunaux, et 371 pays en milieu rural.
Encore, il ne s’agit là que des niveaux courants de décision. On peut y ajouter un nombre relativement important de syndicats mixtes, de sociétés d’économie mixte, d’organismes divers qui eux aussi prennent part à la vie collective.
Ainsi le fonctionnement de nos institutions ne permet plus actuellement au citoyen de distinguer les différentes attributions de chaque échelon territorial, sinon par défaut. L’enchevêtrement de compétences et la limitation mécanique des capacités ou du pouvoir de décision de chacun des acteurs publics contribuent à ce que la politique soit de moins en moins considérée comme la modalité centrale de construction de l’intérêt général et de plus en plus comme une forme particulière de défense des intérêts catégoriels, sectoriels ou régionaux.
Si l’on retient que, outre l’Etat tout puissant et multi compétent, les régions, les départements et les communes ont compétence pour intervenir dans tous les domaines et ne s’en privent pas, en vertu de la fameuse « clause générale de compétence », on ne sait plus très bien qui est qui, et qui peut ou doit faire quoi ?
La question qui se pose est bien d’abord de répondre au besoin impérieux de clarté et ensuite de s’assurer que tout changement va avec certitude améliorer l’efficacité et répondre au souci tout aussi impérieux de faire des économies !
Comme depuis plus de 40 ans, le gouvernement annonce à son tour le regroupement des régions, ajoutant la suppression de la majorité des départements et l’absorption relative des communes par les intercommunalités. Cette réforme préconisée de longue date par de multiples rapports et, plus récemment, au cours des vingt dernières années, parla Courdes Comptes etla Commissioneuropéenne, pourrait être saluée d’un bravo attendu : enfin un gouvernement qui ose s’atteler à ce problème complexe! Mais a-t-on pris la bonne méthode ?
Il peut paraître tentant de s’attaquer d’emblée aux régions parce qu’elles sont de création relativement récente, et encore moyennement intégrées dans le paysage administratif français. Il semble que le gouvernement soit allé vers le plus facile : diminuer le nombre de régions actuelles sans avoir, au préalable, posé la question de la puissance financière et juridique des futures régions… élargies.
Délimiter les régions sur de simples critères de population ou de superficie est largement insuffisant. En l’état actuel plusieurs de nos 22 régions ont une population et une superficie supérieure à la moyenne européenne, mais elles ne détiennent pas les possibilités législatives et réglementaires que possèdent les länder allemands, par exemple. N’oublions pas que, si un petit pays et a fortiori une petite région peuvent rester riches et prospères -et que l’inverse est vrai aussi-, cela peut être aux dépends de ses voisins.
Quant aux économies annoncées il faut raison garder. Si à terme cela peut s’avérer positif, il est à craindre qu’elles ne soient pas aussi importantes que prévues. En effet quid des bâtiments, parfois déjà disproportionnés voir « luxueux » existant dans chaque région actuelle ? Seront-ils automatiquement intégrés dans la nouvelle structure ou feront-ils l’objet d’une restructuration à grand frais ? Quid également des personnels en fonction ? Seront- ils tous intégrés, et alors pas d’économies en vue ? Feront-ils l’objet de reclassement dans d’autres structures ou seront-ils pour certains, simplement licenciés ? Sans compter sur le désir des élus de compléter les équipements de la nouvelle structure quel que soit le lieu du nouveau siège. Et finalement qui aurait un pouvoir de contrôle sur les objectifs ?
Quant aux départements, s’ils voient quelques unes de leurs attributions disparaître (collèges, transports …) ainsi que leur « clause de compétence générale » (mais rien n’est encore certain), seuls quinze départements devraient, en réalité, disparaître en étant intégrés dans une métropole.
Les autres départements pourraient être remplacés par une ou plusieurs fédérations d’intercommunalités constituant ainsi une nouvelle structure décisionnaire dont on ne sait rien ni des compétences ni des moyens.
Cette réforme ne touche pas aux communes ce qui semble paradoxal si l’on tient compte de la politique suivie jusqu’alors par tous les gouvernements, politique qui a abouti à l’obligation de coopérer par l’intermédiaire des EPCI. Il est simplement prévu de porter obligatoirement la population de ces EPCI à 20.000 habitants minimum en 2017, alors qu’il faudrait aller au bout de la logique sur le plan local.
La France, au 1er janvier 2006, comptait 9800 communes de moins de 200 habitants. Beaucoup d’entre-elles sont devenues de simples lieux de vie où plus aucun service public n’est disponible : plus d’école, plus de commerce, plus de prêtre et surtout plus de mariage ni de naissance, ce qui n’empêche pas qu’il y fait bon vivre.
Un rapide tour d’horizon du territoire français nous montre que nombre de communes ont disparu de l’annuaire par simple fusion. Dans les Vosges on est passé de 531 à 514 au cours des 60 dernières années.
Alors pourquoi ne pas aller au bout de la logique soit en transférant la totalité des attributions des communes aux EPCI dont elles font partie soit, à l’instar de nos voisins, obliger les communes à fusionner de manière à former des entités suffisamment importantes pour y maintenir les services publics de base: écoles, services financiers … etc. Dans ce cas les communes devraient pratiquement toutes être supprimées sauf celles dont l’objet dépasse les possibilités de la structure de base.
Une telle réforme ne peut être envisagée que si l’Etat montre l’exemple. Actuellement cela ne paraît pas être le cas puisque le projet se contenterait de quelques simplifications administratives, ce qui est toujours bon à prendre, et du renforcement des pouvoirs des préfets.
Or le moment ne serait-il pas venu de promouvoir une véritable réforme de l’Etat ? La décentralisation s’est accompagnée depuis 30 ans d’un renforcement de l’Etat par le jeu de la déconcentration publique. Il serait utile de supprimer les doublons, qui demeurent dans les collectivités locales, dépourvus de moyens propres et qui continuent à s’immiscer dans les politiques locales comme celle de l’innovation, et à les contrôler, comme celle dela DRACdans le domaine culturel. Cela apporterait une simplification pour les exécutifs locaux et permettrait des économies de fonctionnement notables.
Ne pourrait-on envisager de supprimer nombre d’organismes plus ou moins actifs dont l’utilité et surtout l’efficacité restent à démontrer : le conseil économique et environnemental est l’un d’eux. Le nombre de ses membres pourrait être divisé par quatre et ses fonds par 10 sans parler de leurs pendants régionaux qui pourraient disparaître.
En conclusion, en s’interrogeant sur le devenir des régions et des départements via une carte administrative fluctuante, au lieu de les traiter en termes d’objectifs, de développement, et d’orientation pour l’avenir, le gouvernement a empêché une approche nouvelle de l’organisation des territoires. On a discuté des mois -sans avoir encore trouvé un accord- de la carte des uns et des autres, et du nombre des collectivités locales mais en aucun cas des besoins des territoires.
La priorité d’aujourd’hui, compte tenu de la crise que nous traversons et du doute en nos capacités de réussir, est de retrouver du dynamisme et la capacité de création, en s’appuyant sur les mutations techniques, humaines, sociétales ou économiques qui traversent le monde.
L’aménagement stratégique des territoires, la réorganisation de l’Etat, l’articulation entre les futures métropoles, les EPCI, les villes moyennes et les villages constituent justement les socles à même de configurerla Francevers une nouvelle perspective de développement économique.
Plusieurs leviers d’action pourraient être mobilisés à cette fin :
- Le principe d’adéquation : ce principe, qui devrait présider à la décentralisation, est le principe de subsidiarité, par lequel une compétence devrait s’exercer au niveau le plus efficace.
Pour réussir à changer vraiment l’organisation d’une société qui a bien évolué, car elle s’est décloisonnée et ouverte sur le monde, cessons de réfléchir de façon dogmatique, tel que le prévoit les lois de décentralisation qui ont attribué des compétences à chaque catégorie de collectivité territoriale et ayant en plus fixé leur cadre juridique.
A l’inverse changeons notre vue prospective et pensons de façon pragmatique en fonction des besoins réels des bassins de vie des territoires, et en adéquation avec les attentes de leur population. Le principe d’adéquation sera de proposer des actions à partir de la réalité des bassins d’emploi des territoires, pour créer de la richesse, tout en tenant compte des particularités de chaque population dans son environnement immédiat.
Le principe de subsidiarité que l’entité territoriale décentralisée se verrait ainsi reconnaître, pourrait lui être attribué par la ″conférence des exécutifs locaux » concernés par le transfert de compétence.
- La proximité : une catégorie de collectivité territoriale est en mesure d’exercer bien une responsabilité, quand elle en a les moyens, en matière de savoir faire des hommes, de matériels et de financements. Il serait alors essentiel que l’on ne cherche pas à chaque fois à la déposséder de sa compétence, en faisant remonter celle-ci à un niveau plus élevé.
Il serait souhaitable d’agir toujours au plus proche des besoins.
Tout ce qui est bien géré, au niveau le plus pertinent, même si c’est le plus bas, resterait ainsi géré à ce niveau, le plus près possible des aspirations des citoyens.
Les élus locaux pourraient procéder par expérimentation, selon les domaines de compétences concernées, et pour cela devraient
– savoir définir les objectifs,
– pouvoir fixer le taux des résultats à atteindre,
– et aussi en assurer leur suivi et leur évaluation de façon rigoureuse et pérenne.
- Une nouvelle politique de responsabilité
La démocratie, que nous appelons de nos vœux, demande que les pouvoirs, à tous les échelons, soient plus responsables et plus transparents.
Cela impose de supprimer la « clause générale de compétence » qui permet à une collectivité d’agir dans tout domaine « d’intérêt local », alors même qu’aucun texte ne lui attribue cette fonction. Cela exige que les pouvoirs de décision et d’administration dans toutes collectivités territoriales soient spécialisés et bornés.
Enfin cela suppose que chacun des responsables politiques, dans son domaine de compétence, ait les moyens de son action et puisse rendre compte de sa gestion, et de sa compétence en matière d’administration.
Et cela sous-tend :
– une élection au suffrage universel à chaque niveau de collectivité territoriale
– un élu –un mandat,
– un renouvellement de la classe politique,
– et…une évolution de la classe politique…
- Un autre défi
Prenant pour base une stratégie peut-être trop idéaliste voire utopique pour certains, dans une économie d’invention du XXI ème siècle qui fait une large place aux compétences, aux synergies et aux coopérations, la métropole peut apparaître le premier espace naturel de croissance.
Notre pays est riche de 10 à 15 métropoles dynamiques qui ont déjà pris le virage de cette économie de mouvement.
La Francepourrait repenser son organisation régionale ::
– en profitant au mieux de la force de ses métropoles
– et en promouvant la diffusion régionale, voire plus, de la croissance que ces métropoles impulsent.
Procéder à ces changements conduira à renouer les fils de la confiance des citoyens dans l’avenir en leur territoire, en réhabilitant progressivement le pouvoir politique, le responsable politique et d’une manière générale « la » politique.